Coutume de Paris

par Ruggiu, François-Joseph

Nouveau commentaire sur la Coutume de la prévôté et vicomté de Paris, par Me Claude de Ferriere, avocat au Parlement (1770)

La coutume de Paris a joué un rôle fondamental dans la définition de l'identité des Québecois. Elle a d'abord formé le cœur de ces « lois et coutumes » qu'ils s'efforcèrent de défendre après la Cession de 1763. Puis, malgré des transformations successives du système juridique, elle a laissé son empreinte, dans l'esprit ou dans la lettre, jusque dans le Code civil du Québec et la structure légale du Canada.

Article available in English : COMING SOON

Un objet d'histoire vivant

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les historiens et les historiens du droit canadiens qui évoquaient la coutume de Paris insistaient généralement sur son caractère à la fois égalitaire et familial. Elle aurait été un instrument juridique et culturel propre à forger la société de petits propriétaires paysans que semblait avoir toujours été le Québec. Elle aurait également expliqué, en partie, la longue persistance d'une économie agraire traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent. Depuis les années 1970, un ensemble de travaux d'histoire sociale fondés sur l'étude des nombreux actes notariés que conservent les Archives du Québec, ont considérablement nuancé ce point de vue. Ils insistent, par exemple, sur les mécanismes de protection de la femme qu'offrait la coutume de Paris et mettent en valeur la diversité des objectifs sociaux que cherchaient à atteindre à travers elle les paysans de la vallée du Saint-Laurent. Une partie de ces travaux ont été réalisés au fil d'une série de colloques scientifiques réunissant, à propos de questions d'histoire rurale, des chercheurs français, autour de Joseph Goy ou de Gérard Béaur, et des chercheurs québécois, autour, entre autres, de Gérard Bouchard, de John A. Dickinson ou de Jean-Pierre Wallot. La coutume de Paris reste donc un objet d'histoire vivant qui continue à faire le lien entre la France, le Québec et la Nouvelle-France.

Origine et transformations du droit canadien

Étude pour « Le Conseil souverain »

La coutume de Paris désigne à l'origine le droit civil qui s'exerçait dans la prévôté et vicomté de Paris mais l'esprit qui l'animait se retrouvait dans la plupart des coutumes du Bassin Parisien. Réformée en 1579-1580, elle comprenait 362 articles qui se répartissaient en seize titres traitant, en particulier, des fiefs, des censives et des droits seigneuriaux ainsi que de la communauté de biens entre époux, des donations, des testaments, et, enfin, des successions. La coutume de Paris avait été introduite en Nouvelle-France dès 1627 par la Compagnie des Cent-Associés. En 1664, l'édit de création de la Compagnie française des Indes en a fait le droit commun de toutes les colonies françaises. Elle a donc été appliquée non seulement en Nouvelle-France mais aussi dans les Antilles et dans les îles de l'Océan Indien. Le pouvoir royal reconnaissait ainsi, et par-là même fortifiait, le statut particulier de la coutume de Paris. Les juristes ont en effet considéré, dès le XVIIe siècle, qu'elle était une des principales matrices d'un droit commun de la France que certains, comme François Bourjon, s'efforcèrent de théoriser au XVIIIe siècle. Toutes les dispositions de la coutume n'ont cependant pas été appliquées en Nouvelle-France. Par exemple, les articles concernant les formes noble et bourgeoise de la tutelle des mineurs sont restés inopérants. Par ailleurs les autorités de la colonie ont apporté des nuances à la coutume de Paris qui lui ont donné un tour « canadien » ou « colonial ».
Après la Cession de la Nouvelle-France par la Couronne française, en 1763, la Couronne britannique a cherché un temps à imposer le droit criminel et le droit civil anglais dans cette ancienne colonie française. Mais, en 1774, par l'article huit de l'Acte de Québec, la coutume de Paris a finalement été confirmée comme un des fondements du droit civil de la colonie. François-Joseph Cugnet, un seigneur et un administrateur né dans la colonie, qui s'était précocement rallié au régime anglais, a alors entrepris d'en fixer les contours dans un ouvrage, Traité abrégé des anciennes loix, coutumes et usages de la colonie du Canada..., paru en 1775. Alors qu'elle a été abrogée par la France révolutionnaire et napoléonienne, la coutume de Paris est paradoxalement demeurée en usage dans la province du Bas-Canada, créée par l'Acte Constitutionnel de 1791. Et elle a été maintenue pour l'est du Canada après l'Acte d'Union de 1840. Ses règles ont, cependant, évolué en raison de l'introduction de dispositions venues de la common law anglaise à la demande des anciens sujets de la Couronne britannique. L'adoption des règles anglaises de preuve en matière commerciale en est un bon exemple. Ces évolutions ont parfois été l'occasion de débats et d'affrontements entre juristes, magistrats et hommes politiques francophones et anglophones dans la première moitié du XIXe siècle.

La conciliation du droit français et du droit britannique

La coutume de Paris réglait d'abord le droit des fiefs qui est demeuré en usage jusqu'à la suppression du système seigneurial en 1854. Certaines de ses dispositions ont été contestées car elles semblaient obérer le développement agricole de la vallée du Saint-Laurent. C'est le cas du retrait lignager, qui permettait à un héritier, même lointain, d'un seigneur de racheter un bien vendu en remboursant son prix d'achat, ou encore des lods et ventes, un droit que percevait le seigneur sur la vente d'une censive. Mais les Britanniques qui avaient acheté des seigneuries s'en sont finalement bien accommodés et le système seigneurial ne concernait, de toute façon, que les terres concédées sous le Régime français. A partir de 1774, en effet, les terres concédées par la Couronne britannique l'ont été « en franc et commun socage », c'est-à-dire en toute propriété.

Les Membres du tribunal spécial mis en place le 4 septembre 1855 pour régler les litiges dus à l'abolition du régime seigneurial en 1854

Mais les dispositions les plus importantes de la coutume de Paris concernaient le droit de la famille. La manière dont elle réglait les relations entre les époux et le devenir des successions témoignait, en effet, d'une conception spécifique de la place des hommes et des femmes dans la société ainsi que des liens qui devaient unir entre eux les différents membres d'une famille en ligne directe ou en ligne collatérale. Selon la coutume de Paris, les femmes majeures non mariées et les veuves disposaient d'une pleine capacité juridique, mais l'épouse, elle, était soumise à l'autorité de son mari. Elle ne pouvait, par exemple, passer un acte notarié ou agir en justice sans l'autorisation de ce dernier. Ses droits économiques étaient néanmoins protégés. La coutume distinguait, en effet, nettement entre les propres des époux, c'est-à-dire les immeubles qui leur venaient de leurs familles respectives, et les conquêts, c'est-à-dire les meubles et les immeubles qui étaient entrés dans la communauté de biens que le mariage avait créée entre eux. Durant le mariage, les biens de la communauté étaient administrés par le mari, ainsi que les propres de l'épouse, mais cette dernière continuait d'en être la propriétaire et ils devaient retourner intégralement dans sa famille si le couple n'avait pas d'enfant. L'article 226 de la coutume de Paris précisait que le mari ne pouvait aliéner les propres de son épouse sans l'autorisation de celle-ci et qu'il ne pouvait le faire que dans l'intérêt de la famille. L'inégalité juridique entre les époux était donc compensée, au moins partiellement, par le fait qu'ils devaient, en pratique, coopérer pour la gestion de la communauté et des propres de la femme. Il n'était, par rare, en Nouvelle-France, que les maris appelés à se déplacer pour leurs affaires, soit vers le Pays d'en Haut, soit en métropole française, passent en faveur de leur épouse une procuration générale qui permettait à celle-ci de gérer les biens de la famille.

La femme était également favorisée au moment du décès de son mari. A la mort du premier conjoint, la communauté étant partagée par moitié entre les héritiers du défunt et le conjoint survivant qui recevait également, avant partage, un « préciput » sous la forme d'une somme d'argent ou d'un ensemble de biens meubles. Mais, si le mari précédait son épouse, cette dernière recevait également un « douaire coutumier » correspondant à l'usufruit d'une partie des propres du mari. Elle avait aussi la possibilité de renoncer à la communauté si les dettes de la communauté étaient trop lourdes, ce qui la garantissait, en principe, contre un mari dépensier ou incompétent. En ce qui concerne les propres du défunt, ils passaient entièrement à ses enfants et, en l'absence de descendants, ils retournaient intégralement dans sa famille. La coutume était, sur ce point, d'esprit lignager car les biens venus d'un conjoint ne devaient jamais, en principe, passer dans la famille de l'autre. C'est d'ailleurs pourquoi les donations entre les époux étaient sévèrement encadrées.

Les conseillers législatifs de la Province de Québec

Le partage successoral qui était effectué entre les enfants d'un défunt était égalitaire surtout si le défunt n'avait pas rédigé de testament. La coutume de Paris prévoyait cependant que les enfants qui avaient été dotés au moment de leur mariage pouvaient choisir de ne pas participer au partage successoral ce qu'il faisaient s'ils estimaient avoir été avantagés par rapport aux autres héritiers. S'ils désiraient venir au partage, ils devaient alors rapporter à la succession les biens qu'ils avaient reçus. À la différence de ce qui se passait dans les régions du sud de la France, qui appliquaient un droit écrit d'origine romaine, la coutume de Paris encadrait sévèrement la liberté de tester. Le testateur pouvait donc léguer librement ses biens meubles et ses conquêts mais il ne pouvait disposer que d'un cinquième de ses propres. Les quatre autres cinquièmes des propres formaient une « réserve » qui devait obligatoirement être partagée entre les héritiers. Les héritiers ne pouvaient, de toute façon, pas être privés de leur « légitime » qui correspondait à la moitié de ce qu'ils auraient touché si l'ensemble des biens du défunt (propres et conquêts confondus) avaient été partagés également.


Les actes notariés canadiens révèlent que les habitants de la Nouvelle-France ont généralement respecté l'esprit égalitaire de la Coutume, au moins jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Dès 1774, le droit des successions a été altéré car les autorités britanniques ont imposé la liberté de tester, en usage dans les îles Britanniques. Les actes notariés attestent alors que les Canadiens français ont eu progressivement tendance à transmettre, par différents moyens dont la donation, le patrimoine foncier de la famille à un seul héritier, qui pouvait alors entretenir ses parents vieillissants, tout en essayant généralement de dédommager plus ou moins leurs autres enfants.

 

Le passage au Code civil

Le Code Civil du Bas-Canada, préparé à partir de 1854 est promulgué en 1866 et marque la fin de la coutume de Paris. Il est partiellement inspiré du Code Civil napoléonien, qui conserve certains articles de la coutume de Paris. L'empreinte de celle-ci se retrouve donc à la fois dans l'actuel Code civil du Québec et dans le bijuridisme canadien, puisque  le Québec conserve encore aujourd'hui un système juridique différent du reste du pays. Bien que moins tangible que d'autres formes de patrimoine, cet édifice de loi qu'était la coutume de Paris a lui aussi traversé les époques grâce à des transformations et des réappropriations. Autant d'actions de sauvegarde qui lui ont permis de marquer la société québécoise jusqu'à ce jour. Sans être responsable de tout, cette institution centrale des Canadiens français a laissé des traces dans les mentalités et la culture.


François-Joseph Ruggiu
Professeur, Université Paris IV-Sorbonne

BIBLIOGRAPHIE

Bouchard, Gérard, John A. Dickinson et Joseph Goy (dir.), Les exclus de la terre en France et au Québec, XVIIe-XXe siècles : la reproduction familiale dans la différence, Sillery (Qc), Septentrion, 1998, 336 p.

Dépatie, Sylvie, « La transmission du patrimoine dans les terroirs en expansion : un exemple canadien au XVIIIe siècle », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 44, no 2, automne 1990, p. 171-198.

Gilles, David, « La condition juridique de la femme en Nouvelle-France : essai sur l'application de la coutume de Paris dans un contexte colonial », Cahiers aixois d'histoire des droits de l'outre-mer français, no 1, 2002, p. 77-125.

Greenwood, Frank Murray, Legacies of Fear : Law and Politics in Quebec in the Era of the French Revolution, Toronto, University of Toronto Press, 1993, 359 p.

Kolish, Evelyn, Nationalismes et conflits de droits : le débat du droit privé au Québec, 1760-1840, Montréal, Hurtubise HMH, 1994, 325 p.

Lareau, Edmond, Histoire du droit canadien depuis les origines de la colonie jusqu'à nos jours, Montréal, A. Périard, 1888-1889, 2 vol.

Morin, Michel, « La perception de l'ancien droit et du nouveau droit français au Bas-Canada, 1774-1866 », dans H. Patrick Glenn (dir.), Droit québécois et droit français : communauté, autonomie, concordance, Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 1993, p. 1-41.

Normand, Sylvio, « François-Joseph Cugnet et la reconstitution du droit de la Nouvelle-France », Cahiers aixois d'histoire des droits de l'outre-mer français, no 1, 2002, p. 127-145.

Paquet, Gilles, et Jean-Pierre Wallot, « La coutume de Paris et les inégalités socio-économiques au Québec (1760-1840) : un survol », Mélanges de l'École française de Rome : Italie et Méditerranée, vol. 110, no 1, 1998, p. 413-421.

Viret, Jérôme Luther, « Droits, usages et coutumes sous l'Ancien Régime : l'exemple de la prévôté de Paris au milieu du XVIIe siècle », Revue historique de droit français et étranger, vol. 77, no 4, octobre-décembre 1999, p. 505-517.

Zoltvany, Yves F., « Esquisse de la coutume de Paris », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 25, no 3, 1971, p. 365-384.

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

Photos
Audio

Ailleurs sur le web

Retour vers le haut

© Tous droits réservés, 2007
Encyclopédie du patrimoine culturel
de l'Amérique française.

Gouvernement du Canada