Découvrir le patrimoine artistique de l’église de l’Annonciation d’Oka
par Legault, Christian
L’église de l’Annonciation d’Oka, au cœur du site patrimonial d’Oka cité par le gouvernement du Québec en 2001, est située sur les rives du lac des Deux-Montagnes, près de Montréal. De style éclectique empruntant à plusieurs courants ornementaux et architecturaux, elle fut érigée entre 1879 et 1883. Elle se distingue par la richesse ornementale de sa façade, par son clocher monumental et son contraste lumineux de pierres rosâtres et de pierres plus pâles. Fermée aux touristes entre 1973 et 1985, elle regagne en popularité au début des années 1990 sous l’impulsion de Claude Grenier, le curé de la paroisse qui organise des visites guidées. Aujourd’hui, la Fabrique de la paroisse voisine de Saint-François d’Assise a pris le relais. Elle offre durant l’été des visites historiques pour faire découvrir l’impressionnant patrimoine artistique de l’église de l’Annonciation d’Oka.
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Les joyaux artistiques de l’église d’Oka
L’église de l’Annonciation d’Oka se distingue non seulement par son architecture monumentale du 19e siècle, mais aussi par sa collection remarquable de peintures de 18e siècle. Ces œuvres, commandées par les Sulpiciens et réalisées en France par Nicolas Lefebvre (ou Lefébure), sont d’excellentes répliques de grands artistes européens tels que Rubens, Jouvenet et N. de Poilly. Parmi elles, on compte L’Agonie au Jardin des Oliviers, La Flagellation, L’Ecce Homo ou le Christ présenté au peuple, La Rencontre de Sainte Véronique ou Montée au Calvaire, Le Crucifiement, La Crucifixion et La Déposition de Croix ou la Mise au Tombeau (Note 1) . Au départ, ces peintures étaient destinées au Calvaire d’Oka qui avait pour but d’éduquer les Amérindiens au chemin de croix relatant la Passion du Christ. Elles furent sauvées « miraculeusement » lors de l’incendie de 1877 et se retrouvent aujourd’hui sur les murs de la nef. Certains visiteurs ont fait l’éloge de ces œuvres d’influence baroque qui ont fait la fierté de l’église. Le rédacteur du journal anglais Star écrivait par exemple en 1879 : « Ne fit-on pas le voyage au Lac des Deux-Montagnes que pour voir les toiles que renferme l’église de cette mission […], ce sont en effet les plus belles peintures que possède le Canada » (Note 2).
Plusieurs autres peintures ont été rajoutées à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle par des artistes tels que Jean-Charles Frontier, Arthur Guindon et Sœur Jérôme de la Croix (alors que plusieurs autres demeurent anonymes), pour enrichir la collection de l’église. À la suite d’un changement au sein du clergé de l’église d’Oka à la fin des années 1920, le nouveau curé, Maximilien Lacombe, exigea plusieurs modifications. Il fit notamment remplacer la toile de l’Annonciation, figurant à l’intérieur du chœur, peint par Nicolas Lefebvre en 1736, par une autre Annonciation de Sœur Jérôme de la Croix. En 1932, l’artiste Guido Nincheri, qui dirigeait à l’époque un studio de vitraux à Montréal, eut la tâche de réaménager l’aspect artistique de l’église. Il refit, par exemple, l’entièreté du chœur, à l’exception de la toile de l’Annonciation de Sœur Jérôme de la Croix et de deux fresques datant de 1879. La plus récente acquisition d’art religieux est une sculpture de Kateri Tekakwitha réalisée par Jacques Bourgault en 1991, placée dans la chapelle de l’église qui est dédiée à Kateri Tekakwitha.
Une orfèvrerie de grande valeur
Les Sulpiciens ne rapportèrent pas seulement des peintures de France. Plusieurs pièces d’orfèvrerie en argent massif datent du 17e et du 18e siècle. À titre d’exemple, on distingue un ciboire de 1637, portant la signature de François Jacob, et deux calices de 1684. La plus fascinante joaillerie demeure une magnifique Vierge à l’Enfant – toujours en argent – confectionnée vers 1725 par Guillaume Loir et offerte « officiellement » en 1749 par Louis XV à la mission du Lac des Deux-Montagnes. D’autres objets de valeur, tels qu’un encensoir en argent du 18e siècle, une aiguière baptismale du 19e siècle, trois plateaux en argent massif de la fin du 19e siècle, ainsi que plusieurs autres orfèvreries auraient appartenu à l’église au fil du temps. Une Bannière des Cinq Nations aurait également orné les murs de l’église. Selon André Cuoq, cette bannière aurait été confectionnée par Jeanne Le Ber autour de 1690. Alors que Mgr Olivier Maurault affirme qu’elle aurait été réalisée au milieu du 18e siècle par les sœurs de la Congrégation Notre-Dame, accompagnées de quelques Amérindiennes à qui elles enseignaient le catéchisme (Note 3). Ces objets font aujourd’hui partie de l’inventaire québécois du patrimoine mobilier des prêtres de Saint-Sulpice.
Les origines de l’église au 18e siècle
Arrivés de Paris durant la deuxième moitié du 17e siècle, les premiers Sulpiciens débarquent en Nouvelle-France pour évangéliser les Amérindiens. En 1717, Louis XV concède aux Sulpiciens la Seigneurie du Lac des Deux-Montagnes pour y établir une nouvelle mission. En 1721, la Compagnie de Saint-Sulpice confie à Maurice Quéré de Tréguron la responsabilité d’organiser un village sur le bord du Lac des Deux-Montagnes pour desservir des membres des peuples iroquoiens et algonquiens christianisés. À la mort de Robert-Michel Gay, en 1725, il devient le supérieur de la mission et veille dès lors « aux besoins spirituels et temporels de ses néophytes » (Note 4). Quéré de Tréguron est en grande partie responsable du développement de la région. Plusieurs bâtiments sont érigés entre 1721 et 1735, dont une chapelle – qui fut transportée du Sault-au-Récollet vers le Lac des Deux-Montagnes –, ainsi que des résidences provisoires pour les missionnaires, des cabanes réservées aux Amérindiens, une école et un couvent destiné aux Sœurs de la Congrégation Notre-Dame. En 1728, débutent les travaux pour ériger une première église en pierre, ainsi qu’un manoir. L’église et le presbytère sont terminés quatre ans plus tard, en 1732, tandis que la maison des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame est achevée l’année suivante. En 1734, les installations destinées aux Amérindiens sont terminées, les nations algonquiennes résident à l’est de la mission et les iroquoiennes à l’ouest. Les fouilles archéologiques réalisées en 1876 démontrent que ces constructions furent bâties à environ 300 pieds du lac.
La région connut un développement encore plus grand avec la mise en place du Calvaire d’Oka. Construit entre 1740-1742 sous la supervision du sulpicien Hamon Le Guen, ce lieu de culte, comprenant quatre oratoires et trois chapelles, était consacré à l’éducation des Amérindiens à la Passion du Christ. Pour ce faire, les Sulpiciens rapportèrent des peintures de France dans le but d’inculquer aux Amérindiens les valeurs de la chrétienté à l’aide de ces images – une tradition qui remonte au Moyen Âge. Ces peintures seront par la suite transférées à l’intérieur de l’église vers 1776. Pour les remplacer, on confia à François Guernon, dit Belleville la reproduction de ces mêmes œuvres sur des bas reliefs. À la fin du 18e siècle, le site du patrimoine d’Oka rayonnait, notamment parce qu’il était fréquenté par un grand nombre de personnes d’origine européenne, ce qui a engendré des tensions avec les peuples autochtones et incité plusieurs Amérindiens à quitter Oka au 19e siècle.
L’église de l’Annonciation actuelle
En juin 1877, Oka subit un incendie majeur qui ravage l’église, le presbytère et plusieurs bâtiments situés à proximité. Quatre jours plus tard, une douzaine d’Iroquois de la nation Agnier (Mohawks en anglais), dont Joseph Onasakenrat et son père, sont arrêtés et accusés de déprédation (Note 5). Dès l’année suivante, on prépare la construction d’une nouvelle église. Jean-François Lacan, responsable du projet jusqu’à sa mort en 1883 (Louis-Guillaume Leclair lui succèdera) confie la tâche aux architectes Maurice Perreault et Albert Mesnard (Note 6). Les travaux débutent en 1879 et se terminent en 1883. On a qualifié le style de cette église en forme de croix latine, dont le chœur se termine par une abside en hémicycle, de « romano-byzantin moderne » (Note 7). Sa superficie est de 65 pieds en façade, de 84 pieds dans sa partie arrière et de 160 pieds en profondeur. Les vitraux ont été importés de France par la maison Raymond Beullac et furent posés en mai 1882 dans l’église; André de Pagès estime le coût à 1142 $ (Note 8).
Plusieurs ajouts ont été réalisés au cours du 20e siècle. Le clocher de 80 pieds de hauteur comportant trois cloches – dont deux furent fondues en 1884 et la plus grande en 1886, a été finalisé en 1907 selon les plans de Venne et Perreault. Une chapelle fut construite entre 1907 et 1909 pour faire contrepoids à la sacristie située du côté est de l’église. Elle fut consacrée à Kateri Tekakwitha, cette Iroquoise d’une grande piété qui vécut de 1656 à 1680 et fut la première Amérindienne à se voir canonisée en 2012. Enfin, un orgue Casavant Opus 113 à traction mécanique fut aménagé dans l’église en 1900.
Une valeur patrimoniale exceptionnelle
L’église de l’Annonciation d’Oka impressionne par la beauté de son architecture, par son clocher monumental, son passé symbolique et l’abondance des œuvres artistiques qu’elle abrite. Plusieurs s’accordent pour dire qu’elle est l’une des plus belles églises de campagne du Québec. Mgr Olivier Maurault écrivait en 1947 dans son article Les trésors d’une église de campagne qu’elle « est du plus heureux effet, au bord des eaux et dans les feuillages des grands arbres » (Note 9). Tout en profitant d’une vue magnifique sur le Lac des Deux-Montagnes, agrémentée par l’ambiance conviviale du village d’Oka, le visiteur de l’église de l’Annonciation ressentira un sentiment de quiétude et de sérénité sur ce site patrimonial québécois qui est l’un des rares à offrir une symbiose entre l’histoire, la culture et la nature.
Christian Legault
Doctorant en histoire
Université du Québec à Montréal
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Photos
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D'autres tableaux de
Nicolas Lefebvr... -
Dessin de l’église de
l'Annonciation... -
Façade actuelle de l'
église de l'Ann... -
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L'église actuelle de
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Notes
Note 1: Les tableaux originaux qui ont inspiré ces œuvres sont mentionnés dans André de Pagès, Une église et son art sacré. L’Annonciation d’Oka, Oka, Éditions de la Société d’histoire d’Oka, 1995.
Note 2 : Cité dans André de Pagès, Op cit, p. 49.
Note 3 : André de Pagès, Op cit, p. 91.
Note 4 : Cité dans Antoine Dansereau, « QUÉRÉ DE TRÉGURON, MAURICE », Dictionnaire biographique du Canada, Vol 3 [en ligne], consulté le 22 juin 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/quere_de_treguron_maurice_3F.html
Note 5 : Donald B. Smith, « ONASAKENRAT (Onesakerarat), JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, Vol 11 [en ligne], consulté le 22 juin 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/onasakenrat_joseph_11F.html
Note 6 : Maurice Perreault et Albert Mesnard réalisèrent plusieurs constructions au Québec : la basilique de Sainte-Anne à Varennes (1883-1887), la Cocathédrale Saint-Antoine-de-Padoue à Longueuil (1884-1888) et la chapelle Notre-Dame du Sacré-Cœur à Montréal (1889-1891).
Note 7 : Cité dans André de Pagès, Op cit, p. 27.
Note 9 : Cité dans André de Pagès, Op cit, p. 27.
Bibliographie
DANSEREAU, Antoine, « QUÉRÉ DE TRÉGURON, MAURICE », dans Dictionnaire biographique du Canada, Vol 3 [en ligne], http://www.biographi.ca/fr/bio/quere_de_treguron_maurice_3F.html
HARRIS, R. Cole, Atlas historique du Canada, vol. I : Des origines à 1800, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1987, 198p.
MAURAULT, Olivier, « Les trésors d’une église de campagne », Ottawa, 1947, p. 55-62.
QUIRION DE GIRARDI, Cécile, « Le centenaire de l’Église d’Oka : une grande fête célébrée en 1980 », Okami : Revue de la Société d’histoire d’Oka, Vol 11, n°2, été 1996, p. 9-10.
QUIRION DE GIRARDI, « Depuis cinq ans, les touristes visitent notre église », Okami : Revue de la Société d’histoire d’Oka, Vol 11, n°4, automne 1996, p. 15.
PAGÈS, André de, Une église et son art sacré. L’Annonciation d’Oka, Oka, Éditions de la Société d’histoire d’Oka, 1995, 151p.
PIÉDALUE, Gilles, « La Mission du lac des Deux-Montagnes, aspects démographiques, économiques et stratégiques, 1721-1840 », Okami : Revue de la Société d’histoire d’Oka, Vol 27, n°2, été 2014, p. 4-20.
PIÉDALUE, Gilles et Gilles Landreville, « L’épopée des bas-reliefs d’Oka », Continuité, Vol 130, 2011, p. 13-15.
RICHER, Laurette B., L’église paroissiale d’Oka, Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, 1980, 32p.
SMITH, Donald B., « ONASAKENRAT (Onesakerarat), JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, Vol 11 [en ligne],
http://www.biographi.ca/fr/bio/onasakenrat_joseph_11F.html
Québec, Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, « Site du patrimoine d’Oka : valeur patrimoniale et informations historiques », Répertoire du patrimoine culturel du Québec [en ligne], http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=97773&type=bien