Saint-Malo

par Portes, Jacques

Marina, Saint-Malo

Saint-Malo, « cité corsaire » située en Bretagne, a été fondée en 1308 sur une presqu'île qui permettait une défense contre tout assaillant venu de la mer. Détruite partiellement par un incendie en 1661, elle a été reconstruite dans les années suivantes par l'architecte Vauban qui donna à la ville son allure et son plan originaux, encore visibles aujourd'hui. Pourtant, Saint-Malo a été presque totalement détruite une seconde fois par des bombes incendiaires américaines en août 1944, mais elle a été reconstruite à l'identique après la guerre. Depuis, elle attire de très nombreux touristes venus du monde entier et tout particulièrement du Québec, car Saint-Malo, ville natale de Jacques Cartier, occupe une place spéciale dans la mémoire des Canadiens d'origine française. Saint-Malo est aussi l'un des ports des côtes normande et bretonne qui a participé activement à la pêche à la morue sur les grands bancs de Terre-Neuve du 16e siècle jusqu'à leur dépérissement récent. Saint-Malo est en outre la ville natale de François-René de Chateaubriand, l'un des plus célèbres hérauts français de l'Amérique du Nord.  


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Saint-Malo et la mer

Un terre-neuva à vapeur – 1930-1950

Saint-Malo est l'un des meilleurs havres de la côte de Bretagne du Nord, resté naturel avant les travaux de construction du port à la fin du XVIe siècle.  Beaucoup de navires de tonnages moyens et de types variés - galions, hourques...- peuvent s'y abriter. Très tôt, les Malouins s'affirment en tant que marchands et armateurs, car le port n'est pas étroitement spécialisé : entrepôt, centre commercial, regroupement de capitaux pour les destinations plus lointaines... Les marins malouins sont connus depuis longtemps pour leurs qualités techniques et leur audace, mises en valeur par la « course », une activité d'abord privée et proche du piratage, puis contrôlée par le gouvernement royal qui accorde des brevets à ses corsaires. Au début du XVIe siècle, les marchands malouins participent au commerce de l'Amérique espagnole et portugaise (d'ailleurs Jacques Cartier parlait portugais).  Mais une autre destination d'importance est celle de Terre-Neuve, que les Malouins fréquentent bien avant le premier voyage de Jacques Cartier au Canada. La richesse des grands bancs de Terre-Neuve attire les pêcheurs venus de Saint-Malo et d'autres ports de Normandie vers les côtes de Terre-Neuve et le golfe du Saint-Laurent. Dès 1504 et dans les années qui suivent, il devient habituel de trouver de la morue qui sèche sur le Sillon de Saint-Malo (ce pédoncule de terre qui joint la ville au continent). Plusieurs noms de rue de Saint-Malo rappellent aujourd'hui cette intense activité maritime et commerciale, tels les rues du Saint-Laurent, de la mer du Sud ou des Antilles, les avenues de Québec ou de Montréal, les rues du castor, des Acadiens ou de Terre-Neuve.

 

La grande pêche

La pêche à la morue dans le Grand Banc et les côtes de Terre-Neuve

Depuis la fin des années 1480, des Portugais et des Français, puis des Basques et des Anglais fréquentent les environs de Terre-Neuve, du golfe du Saint-Laurent, de la côte du Labrador et de la Nouvelle-Écosse. Ils y pêchent la morue, la baleine, mais aussi les morses, phoques et autres éléphants de mer. La graisse et l'huile de ces mammifères marins servent à fabriquer chandelles et savon et à fixer la teinture des draps, tandis que sont consommés les filets et l'huile de morue. La pêche à la morue se pratique d'abord selon la méthode sédentaire. Les navires venus d'Europe mouillent ou s'échouent dans des havres. La pêche se fait à proximité du littoral à bord de petites chaloupes. Le poisson est légèrement salé et séché à terre, ce qui permet une meilleure conservation. C'est ainsi que les premiers contacts avec les autochtones d'Amérique se produisent souvent. Les bateaux retournent ensuite vendre leurs cargaisons en Europe, principalement dans les ports méridionaux. Au milieu du XVIe siècle, apparaît une nouvelle méthode de pêche, dite à la morue verte. Les bateaux partent plus tôt d'Europe pour pêcher au large sur les bancs. Les marins ne quittent jamais le bord, les prises sont salées à fond de cale. Cette morue verte est surtout commercialisée en Europe du Nord. Pour les jeunes pêcheurs qui proviennent des ports d'embarquement ou des environs, ces migrations saisonnières sont un moyen d'échapper à la misère : des gages légèrement supérieurs à ceux des ouvriers agricoles compensent l'absence prolongée et un travail dur et dangereux.

Au cours du XVIe siècle, des centaines de navires et des milliers d'hommes sont concernés par cette activité qui mobilise plus de ressources matérielles et humaines que les entreprises de colonisation des Espagnols aux Antilles, au Mexique et au Pérou. En 1580, par exemple, 500 navires et 10 000 matelots, pour moitié des Français, pêchent à Terre-Neuve. Traditionnellement, cette croissance de la consommation de morue en Europe était expliquée par les 153 jours maigres de la période du Carême. Cependant, selon des recherches récentes, l'Église n'a jamais préconisé la consommation de poisson à la place de la viande, et cette évolution des habitudes alimentaires serait plutôt due à l'augmentation de la population, au développement des villes et au goût des populations européennes qui savent apprêter la morue de multiples façons.

Carénage d'un terre-neuvas, Saint-Malo

Cette grande pêche outre-mer  tient de la légende dans les familles de ces régions. Elles qui voyaient partir avec angoisse leurs hommes vers les brumes et les icebergs de la lointaine Amérique. Plus tard, la France a tenu à garder les îles Saint-Pierre et Miquelon et l'accès aux grands bancs lors des arrangements internationaux de 1763, 1814 et 1904. Ainsi, la grande pèche s'est maintenue, avec des hauts et des bas suivant la conjoncture économique et internationale, jusqu'à la fin du XXe siècle et l'instauration d'un moratoire sur la pêche à la morue en 1992. Durant presque cinq siècles, des Malouins ont donc passé quelques semaines à Terre-Neuve. Les officiers de marine affectés à la surveillance des pêcheries ont fréquemment montré leur intérêt pour l'activité qu'ils devinaient sur ces côtes si proches (NOTE 1). D'ailleurs, dans ses différents voyages depuis Saint-Malo ou Saint-Servan (NOTE 2), Jacques Cartier fait toujours sa première escale à Terre-Neuve, où il trouve des compatriotes auxquels il apporte des nouvelles de Saint-Malo et qui l'informent des conditions de la navigation. En 1997, la série télévisée française « Entre terre et mer » a ravivé la mémoire de ces grandes pêches. Les années 1940 ont vu les derniers voiliers naviguer de Saint-Malo aux grands bancs de Terre-Neuve, alors qu'ils étaient déjà largement remplacés par des chalutiers modernes. Un seul de ces voiliers est encore à flot, « le Marité ».

 

La valorisation de Saint-Malo

Mise à part la pêche, les liens de Saint-Malo avec le Québec ont connu des hauts et des bas. En France, contrairement au Canada, la célébration de Jacques Cartier a été discrète jusqu'à la fin du XIXe siècle, alors que le souvenir du vicomte François-René de Chateaubriand, dont la tombe est située dans la baie de Saint-Malo, a été célébré en raison de son rôle historique et de son talent littéraire. Des œuvres très connues de Chateaubriand, telles Voyage en Amérique et Les Natchez, ont fait connaître aux Français une vision fantasmée des Indiens et de l'Amérique du Nord, à la suite du séjour qu'il y fait en 1791.

Place du Québec et statut de Surcouf

En revanche, en 1905, puis en 1934 et en 1984, la ville a été associée étroitement aux anniversaires du premier voyage de Jacques Cartier. La première fois assez simplement, avec l'inauguration d'une statue du navigateur sur les remparts de la ville. La deuxième fois, quelques Malouins ont participé aux festivités qui ont eu lieu principalement à Québec et Montréal, alors qu'une croix de granit de Saint-Malo était érigée à Gaspé. Enfin, en 1984, Saint-Malo a été mêlé plus étroitement aux commémorations car le souvenir du grand Malouin a été repris par le gouvernement fédéral du Canada, au moment où il faisait de grands efforts d'affirmation nationale (peu après le rapatriement de la constitution). En vue de cet anniversaire, la fondation montréalaise McDonald-Stewart acquiert et restaure le manoir de Limoëlou (NOTE 3), l'ancienne résidence de Jacques Cartier (dans les environs de Saint-Malo), avant d'en confier la tutelle à Parc Canada. Le manoir est inauguré au cours de grandes fêtes organisées par l'ambassade du Canada à Paris. Bien qu'il soit modeste, il préfigure les « Malouinières », somptueuses maisons que corsaires et armateurs malouins édifieront plus tard grâce aux fortunes accumulées aux XVIIe et XVIIIe siècles. Depuis, le manoir de Cartier se visite avec beaucoup d'agrément, sans que la plupart des visiteurs n'y perçoivent d'enjeux politiques sous-jacents. Or, à Saint-Malo, Jacques Cartier symbolise si fortement l'origine française du Canada que le gouvernement du Québec n'a pas voulu laisser le champ libre à Ottawa en ce lieu central de mémoire et de patrimoine. Il y a ouvert une maison du Québec donnant sur les remparts qui assure, tous les étés, une animation culturelle de qualité, avec documentation touristique et prestation d'artistes québécois.

Plaque Pierre Elliot-Trudeau

Mais ces luttes idéologiques autour de Jacques Cartier n'émeuvent guère ni les Québécois ni les Malouins d'aujourd'hui, alors que le souvenir du grand navigateur contribue à attirer de nombreux touristes. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas nouveau, en témoignent de nombreux tableaux de Saint-Malo réalisés par des peintres québécois reconnus. Nul doute que Jacques Cartier est l'un des fleurons de la ville, aux côtés de Surcouf et d'autres grands marins. En ce sens, la course de voiliers Québec-Saint-Malo, inaugurée en 1984 à l'occasion des fêtes commémoratives du premier voyage de Jacques Cartier au Canada, une course qui a lieu tous les quatre ans depuis, entretient cette relation transatlantique privilégiée entre Saint-Malo et le Québec.  Cette course dépourvue de tout contenu politique, est la seule course Ouest-Est à travers l'Atlantique. Elle est populaire et très médiatisée notamment parce qu'elle est la seule qui permet d'observer les voiliers en course plusieurs jours après leur départ et que l'une de ses grandes difficultés réside dans le défi que pose la navigation complexe du Saint-Laurent.

Cette succession de personnages marquants, de défis et de célébrations contribue à l'inscription durable de Saint-Malo dans le patrimoine du Québec et de l'Amérique française, tout comme dans la mémoire des Malouins. 

 

NOTES

1. Ronald Rompkey, Terre-Neuve : anthologie des voyageurs français, 1814-1914, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.

2. Petit port voisin de Saint-Malo qui, en 1967, a été englobé dans l’agglomération.

3. Ce nom, légèrement modifié, a été donné à un faubourg de Québec : Limoilou.

 

BIBLIOGRAPHIE

Avril, Gilles, Marins de Saint-Malo, XVIIe-XVIIIe siècles, Monaco, Éditions du Rocher, 1999.

Braudel, Fernand (dir.), Le monde de Jacques Cartier : l'aventure au XVIe siècle, Montréal, Libre expression; Paris, Berger-Levrault, 1984.

Havard, Gilles, et Cécile Vidal, Histoire de l'Amérique française, Paris, Flammarion, 2003.

Henry, René, Saint-Malo et l'Angleterre. Un pays contre une ville : cinq siècles de combats sur les mers, Saint-Malo (France), Cristel, 2004.

Hue, Bernard, Saint-Malo extra-muros, Cancale (France), Éditions du Phare, 2006.

Rompkey, Ronald, Terre-Neuve : anthologie des voyageurs français, 1814-1914, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.

 

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Vidéo
  • Jacques Cartier (Film muet) Ce film présente divers monuments et évènements commémorant les découvertes et les voyages de Jacques Cartier au Canada. Sur l’avenue du Parc à Montréal, on assiste à une célébration devant le monument érigé à la mémoire de Cartier. En 1935, à North Bay, Ontario, la communauté canadienne-française érige une croix pour commémorer l’arrivée de Cartier en 1534. On voit aussi la réplique du bateau la Grande Hermine lors de l’Expo 67 à Montréal, à l’occasion d’une animation historique. On découvre aussi les stèles gravées d’images et d’écritures retraçant la rencontre historique entre Cartier et les Amérindiens, à Gaspé.
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