Pin blanc d'Amérique: préservation
par Quenneville, Raymond et Thériault, Michel
Souvent décrit comme un arbre majestueux aux dimensions extraordinaires, le pin blanc a fasciné et inspiré les naturalistes et les artistes de plusieurs générations. Avec plus de 40 m de hauteur et un diamètre à la souche dépassant souvent les 100 cm, c'est le géant des forêts du nord-est de l'Amérique. Dans de bonnes conditions, le pin blanc bénéficie d'une croissance rapide et d'une longévité surprenante. Certains arbres, toujours vivants, ont été témoins de l'arrivée des explorateurs européens du début du XVIIe siècle. Des millions d'hectares de pinèdes qui couvraient l'est de l'Amérique du Nord il y a à peine 400 ans, il ne reste que des miettes, entre 0.25 et 5 % selon les auteurs. Ces forêts morcelées, transformées et affaiblies sont aujourd'hui tributaires des bons soins que les propriétaires terriens et les gouvernements qui en ont la charge voudront bien leur prodiguer. Que fait-on pour assurer la survie de ce précieux héritage naturel?
Article available in English : Saving the American White Pine
Un brin d'histoire
Le pin blanc (Pinus strobus L.) tel qu'on le connaît aujourd'hui est apparu sur le continent nord-américain il y a quelques dizaines de millions d'années. L'espèce a évolué au gré du climat et des phases géologiques qui ont forcé son isolement et l'on fait se différencier des autres espèces de pin que l'on trouve au Canada et aux États-Unis. Disparu d'Europe, le pin blanc n'occupe aujourd'hui que la partie nord-est du continent nord-américain. Lors de la dernière glaciation, l'espèce a graduellement délaissé les territoires nordiques pour n'occuper qu'un espace restreint du contrefort des Appalaches au sud des États-Unis. Avec la fonte graduelle du glacier, il y a une dizaine de milliers d'années, le pin blanc a repris son ascension vers le nord pour atteindre son maximum d'abondance il y a environ 6000 ans. À cette époque, les plus grandes concentrations de pin se trouvaient le long de la vallée du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Il constituait alors entre 30 et 40 % de la composition forestière de ce vaste territoire.
En Amérique du nord le pin blanc a toujours fait parti de la vie des gens. Les peuples autochtones utilisaient son écorce pour le recouvrement extérieur des maisons longues et sa résine mélangée à de la cendre servait de scellant, lequel était utilisé entre autres pour la fabrication des canots d'écorce (Josephy, 1992).
Le pin blanc est l'un des meilleurs bois d'œuvre produit dans les pays tempérés. La finesse et la qualité de sa fibre le rendent propre à de nombreux usages : charpenterie, menuiserie, ébénisterie, construction de bateaux, etc. Pour cette raison, il a joué un rôle de premier plan dans la vie économique de l'Amérique française entre l'arrivée des premiers colons européens et la fin du XIXe siècle. Tout particulièrement au XIXe
siècle, l'abattage et le flottage de cette précieuse ressource ont contribué à l'essor économique et ont procuré un gagne-pain à des générations de travailleurs. À cette époque, des milliards de mètres cubes de pin blanc ont été extraits des forêts.
Cette exploitation effrénée a eu, il fallait s'y attendre, des conséquences écologiques importantes. Le premier ministre canadien John A. Macdonald le pressentait lorsqu'il écrivait, en 1871 :
« Nous détruisons avec insouciance des forêts que nous ne pourrons remplacer » (Association forestière des Cantons de l'Est, 2008).
Il avait bien raison puisque aujourd'hui, les peuplements de pin blanc de l'Amérique du Nord sont en situation critique. Au cours des derniers siècles, les pinèdes ont été drastiquement éliminées ou transformées par la coupe de telle façon que leur pérennité est menacée. Clifford Ahlgren, en 1976, résumait ainsi la situation :
La trajectoire évolutive des peuplements de pin blanc a été altérée de telle sorte qu'il est inutile d'espérer, ni le retour, ni le maintien de l'état original d'avant l'arrivée des Européens, même sur de petits territoires, par le truchement des seuls processus naturels. Un choix doit être fait entre voir disparaître ces peuplements, qui seront remplacés par d'autres types forestiers mieux adaptés à la situation actuelle ou rétablir, par l'intervention humaine, des forêts de pins se rapprochant de la structure et du façonnement du couvert d'origine.
Les principales causes de la disparition graduelle du pin blanc sont :
1) la surexploitation;
2) les changements survenus aux régimes des incendies;
3) l'apparition d'une maladie exotique, la rouille vésiculeuse du pin blanc (Cronartium ribicola J.C. Fisher);
4) la concurrence d'autres essences forestières, notamment le sapin baumier.
Pour mieux comprendre ces phénomènes, il faut connaître le contexte écologique dans lequel le pin blanc évolue.
L'écologie du pin blanc
Le pin blanc est présent de Terre-Neuve jusqu'à l'extrême sud-est du Manitoba, en passant par le sud du Québec et de l'Ontario. On le trouve autour de la région des Grands Lacs ainsi que dans les provinces maritimes et dans la portion appalachienne des États-Unis, jusqu'au nord de la Géorgie.
Il s'agit d'une essence pouvant s'adapter à une grande diversité de substrats. Toutefois, la croissance du pin blanc est souvent favorisée sur les sols sablonneux et bien drainés (Kafka et Quenneville, 2006).
Le pin blanc procure nourriture et abris à de nombreuses espèces fauniques. Ses graines sont prisées par une grande variété d'oiseaux et de petits mammifères, tandis que son feuillage est brouté par le lièvre d'Amérique et le cerf de Virginie. Les arbres vétérans, vivants ou morts, offrent refuges aux aigles, aux pics et à plusieurs mammifères. Aussi, l'ours noir creuse-t-il souvent sa tanière sous les racines d'un grand pin. Ses petits se réfugieront plus tard dans les hautes branches de l'arbre (Rogers et Lindquist, 1992).
Une espèce adaptée au feu
L'écologie du pin blanc est, dans la plupart des cas, intimement liée aux incendies forestiers (Van Wagner, 1963). L'espèce est adaptée au feu et sa résistance aux incendies est grandissante avec l'âge. L'écorce épaisse des tiges adultes protège le tronc de la chaleur, tandis que la séparation souvent importante entre le sol et les premières branches joue le même rôle pour le feuillage. Le passage périodique de feux de faible intensité a contribué au maintien de l'espèce depuis des millénaires. L'occurrence d'un feu dans une pinède favorise la préparation d'un lit de germination adéquat en éliminant la couche superficielle du parterre forestier ainsi que la partie aérée de l'humus. Il réduit la compétition par les autres espèces végétales plus sensibles au feu et crée des ouvertures dans le couvert forestier, ce qui permet la pénétration de la lumière jusqu'au sol. Tous ces éléments facilitent, pendant un certain temps, l'installation et la croissance des semis. En l'absence de feu, le pin blanc réussit mal à s'implanter là où les compétiteurs sont abondants. Le phénomène est criant dans les provinces de l'Ontario et du Québec ainsi que dans plusieurs États du nord des États-Unis. De nombreuses études font état de l'incapacité des pinèdes actuelles à se régénérer en l'absence de feu. Ce phénomène inquiète grandement la communauté scientifique qui tente de protéger les quelques peuplements de pin qui ont échappé aux coupes forestières.
La concordance entre l'aire de répartition du pin blanc et l'occupation du territoire par les peuples des Premières nations suggère un lien entre l'utilisation du feu par l'homme et le développement des grandes forêts de pin blanc. En effet, le brûlage a été largement utilisé par les peuples autochtones de l'Amérique du Nord, tant pour l'agriculture et la chasse que pour l'aménagement du territoire (Williams, 2003). Cette pratique aurait-elle contribuée, en plusieurs endroits, à créer des conditions favorables à la multiplication des pins blancs? C'est possible.
Dans certaines parties de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ainsi qu'en quelques autres endroits de son aire de distribution, on observe une bonne densité de jeunes tiges de pin blanc là où, pourtant, le feu n'est pas intervenu. Il semble que d'autres perturbations comme les infestations d'insectes et les chablis (arbres renversés par le vent) peuvent aussi créer les conditions favorables à la régénération du pin blanc. L'absence d'espèces compétitrices permet également au pin de se maintenir sur les sols pauvres et secs (fortes pentes, affleurements rocheux, éboulis, zones de perturbations humaines, etc.).
Les principaux pathogènes
La principale maladie affectant les forêts de pin est la rouille vésiculeuse du pin blanc. En plusieurs endroits, les arbres sont grandement affectés par ce champignon exotique qui n'était pas présent dans les écosystèmes anciens (Wilkins, 1994). Bien qu'il s'attaque principalement à la régénération, ce dernier pourra aussi affecter des arbres de tous âges. Le cycle de la maladie passe par un hôte intermédiaire, le Ribes (gadelliers et groseilliers). Les feuilles infectées laissent échapper des spores qui, dispersées par le vent, transmettent la rouille vésiculeuse au pin blanc. Le champignon s'attaque d'abord aux aiguilles et progresse ensuite vers les branches et le tronc pour causer la mort de l'arbre.
Un autre pathogène agressif est le charançon du pin blanc (Pissodes strobi Peck), un insecte indigène dont l'influence était sûrement moins marquée à l'époque où les incendies de forêt étaient plus importants. Cet insecte se nourrit des flèches terminales des jeunes tiges : il en résulte une déformation de celles-ci et un retard dans la croissance des arbres.
Les effets secondaires de la coupe
Les coupes forestières ont grandement transformé la structure des peuplements de pin et ont favorisé l'implantation de nouvelles espèces qui entrent aujourd'hui en compétition avec le pin pour l'eau, la lumière et les nutriments. Ces nouveaux peuplements, où l'érable et le sapin sont rois et le pin minoritaire, n'ont plus la structure requise au développement éventuel de pinèdes.
La sélection due à l'exploitation forestière a également affecté la diversité génétique de l'espèce. En effet, les plus beaux spécimens ayant presque tous été récoltés au cours des XVIIIe et XIXe siècles, la perpétuation de l'espèce dépend, en plusieurs endroits, des arbres moins vigoureux, mal en point ou affectées par diverses carences.
Les efforts de conservation
Plusieurs petites superficies ont été mises en réserve au cours des derniers 30 à 50 ans sur l'ensemble de l'aire de distribution du pin blanc en vue de préserver les forêts matures. Ces territoires de conservation intégrale favorisent principalement la sauvegarde des arbres adultes, mais les modes de gestion actuels ne permettent que rarement d'apporter des solutions aux problèmes de régénération et d'assurer la croissance de nouveaux arbres.
Certains parcs nationaux canadiens et américains ont adopté le feu comme outil de gestion des écosystèmes. Ils procèdent à des brûlages dirigés sous des conditions prescrites pour recréer les effets des processus naturels et permettre aux forêts de pin de se maintenir ou de se développer. Au Canada, les travaux réalisés au centre expérimental du Service canadien des forêts de Petawawa ainsi que par la province de l'Ontario ont ouvert la voie à l'utilisation de cet outil (McRae et al., 1993). Le parc national du Canada de la Mauricie a mis en application ces techniques et a réalisé, depuis 1995, une quinzaine de brûlages dirigés à cet effet. Les résultats obtenus jusqu'ici sont très encourageants (Quenneville et Thériault, 2001). Le passage d'un feu de surface de faible intensité dans des conditions printanières permet l'établissement et la croissance d'une nouvelle génération de pin blanc sans mettre en péril les individus matures. D'autres parcs nationaux de l'Ontario, du Québec et des Provinces atlantiques aux prises avec des enjeux similaires ont utilisé ou utiliseront sous peu le brûlage dirigé pour régénérer le pin blanc et d'autres essences dépendantes du feu.
Ailleurs, des efforts de reboisement pour reconstituer les réserves forestières ont été réalisés depuis les années 1970. Ceux-ci ont d'abord donné des résultats mitigés. En effet, plusieurs plantations réalisées en milieu ouvert ont été affectées par le charançon et la rouille vésiculeuse du pin blanc. Des approches nouvelles ont donc été développées, favorisant parfois la plantation mixte (par exemple en combinaison avec le pin rouge ou l'épinette de Norvège) et la plantation sous couvert. Dans tous les cas, un suivi rigoureux et un entretien régulier des plantations sont requis en vue d'assurer le maintien du niveau d'ensoleillement favorable à la croissance des semis et d'éviter les conditions propices à la propagation de la rouille vésiculeuse du pin blanc. Aux États-Unis, la technique du shelterwood a été privilégiée. Cette technique consiste à enlever une partie des arbres matures pour favoriser la pénétration de la lumière et à procéder à divers traitements mécaniques ou chimiques qui visent à préparer le sol ou à contrôler les espèces végétales compétitrices.
Tandis que plusieurs groupes de recherche s'affairent à développer des souches génétiques de pin blanc qui soient résistantes à la rouille, d'autres préconisent l'approche directe et procèdent à l'élagage systématique des plantations pour éliminer les branches atteintes et prévenir la propagation de la maladie. Certains iront jusqu'à éradiquer les groseilliers et les gadelliers (Ribes spp.) à proximité des plantations, puisque les plantes de ce genre favorisent le développement du champignon responsable de la maladie.
Les nouveaux modes d'exploitation
Quant aux exploitants forestiers, ils ont eu recours à une succession de techniques sylvicoles pour réduire les impacts de leurs interventions et obtenir un maximum de rendement. Les premiers traitements s'attardaient davantage à la protection des arbres en pleine croissance en vue d'une récolte ultérieure plutôt qu'à assurer la pérennité de la ressource. Depuis quelques années, les approches sylvicoles accordent plus d'attention au choix des sites et à la préparation du terrain afin de favoriser la germination et la croissance des jeunes pousses. Les gouvernements du Québec, de l'Ontario et de quelques États américains, en collaboration avec des groupes de recherche et des universités, mettent à l'essai des processus d'intervention qui favorisent à la fois la production de bois de qualité et le maintien à long terme des peuplements de pin blanc (Association forestière des Cantons de l'Est, 2008). Les scientifiques de l'Institut québécois d'aménagement de la forêt feuillue s'affairent à développer des modèles et des approches sylvicoles nouvelles qui tiennent compte des processus écologiques favorables au pin blanc.
La disparition des forêts de pin blanc d'Amérique constitue un exemple éloquent des conséquences parfois irréversibles que peut avoir la négligence humaine sur le milieu naturel. Cette ressource surabondante, qui semblait quasi inépuisable, était en réalité vulnérable. À peine quelques siècles ont suffi à mettre en péril une espèce végétale solidement implantée pendant des millénaires sur un vaste territoire. Cette situation illustre bien que notre rapport au patrimoine naturel est déterminant. Dans ce contexte, les efforts consentis aujourd'hui à la préservation des pinèdes blanches résiduelles et au maintien à long terme de cet écosystème unique revêtent une importance capitale.
Raymond Quenneville
Spécialiste de la gestion du feu
Parcs Canada
Centre de services du Québec
Michel Thériault
Spécialiste de la gestion du feu
Parcs Canada
Parc national du Canada de la Mauricie
BIBLIOGRAPHIE
Ahlgren, Clifford E., « Regeneration of Red Pine and White Pine Following Wildfire and Logging in Northeastern Minnesota », American Journal of Forestry, vol. 74, no 3, 1976, p. 135-140.
Association forestière des Cantons de l'Est, Les grands pins au Québec : un choix d'avenir, Québec, Partenariat innovation forêt, Ressources naturelles Canada, 2008, 28 p.
Beaulieu, Jean, « La noble histoire du pin blanc », Du pin blanc pour l'avenir, c'est possible : recueil des conférences du colloque tenu à Mont-Laurier les 3 et 4 juin 1998, Québec, Ministère des Ressources naturelles; Ottawa, Service canadien des forêts; Sainte-Foy (Qc), Conseil de la recherche forestière du Québec, 1998, p. 5-12.
Josephy, Alvin M. Jr., America in 1492 : The World of the Indian Peoples before the Arrival of Colombus, New York, Alfred A. Knopf, 1992, 477 p.
Kafka, Victor, et Raymond Quenneville, Cadre pour la restauration écologique du pin blanc et du chêne rouge : parc national du Canada Forillon, Québec, Parcs Canada, Service de la conservation des écosystèmes, 2006, 67 p.
McRae, Douglas J., J. Timothy Lynham et Robert J. French, « Implementing a Successful Understory Red Pine and White Pine Prescribed Burn », Proceedings Paper from the White Pine/Red Pine Workshop (Chalk River, 5-7 octobre 1993), 11 p.
Quenneville, Raymond, et Michel Thériault, « La restauration des écosystèmes de pin blanc (Pinus strobus) : un enjeu majeur pour le parc national de la Mauricie », Le Naturaliste canadien, vol. 125, no 2, 2001, p. 39-42.
Rogers, Lynn L., et Edward L. Lindquist, « Supercanopy White Pine and Wildlife », dans Robert A. Stine et Melvin J. Baughman (dir.), White Pine Symposium Proceedings : History, Ecology, Policy and Management (Duluth, 16-18 septembre 1992), St. Paul (Minn.), University of Minnesota, 1992, p. 39-43.
Van Wagner, Charles E., Prescribed Burning Experiments Red and White Pine, Department of Forestry Canada, Forest Research Branch, 1963, 27 p.
Wilkins, Charles, « The Mythic White Pine is in Trouble », Canadian Geographic, vol. 114, no 5, septembre-octobre 1994, p. 59-66.
Williams, Gerald W., References on the American Indian Use of Fire in Ecosystems, Washington, USDA Forest Service, 2003, 94 p.