Collège Sacré-Coeur de Sudbury
par Riopel, Pierre
À l’angle de la rue Kathleen et de l’avenue Notre-Dame, à Sudbury, une plaque de la Fiducie du patrimoine ontarien marque l’emplacement du Collège du Sacré-Cœur. Des milliers d’élèves ont franchi le seuil de cette institution d’enseignement dont les finissants ont occupé d’importants rôles de leadership dans la communauté franco-ontarienne et ailleurs dans le monde. La plaque commémorative se lit comme suit : « Fondé par les jésuites en 1913 et devenu exclusivement francophone en 1916, le Collège du Sacré-Cœur fut le centre d'éducation des jeunes Franco-Ontariens pendant plusieurs dizaines d'années. En 1957, il deviendra l'Université de Sudbury qui, quelques années plus tard, forme la section catholique de l'Université Laurentienne. » Le Collège du Sacré-Cœur a joué un rôle de premier plan dans le développement de l’identité et de la mémoire franco-ontarienne. C’est d’ailleurs en ses murs que la Société historique du Nouvel-Ontario (SHNO) a vu le jour en 1942. Cet organisme revêt une importance particulière dans le domaine du patrimoine : il a pour but de faire connaître l’histoire régionale par l’entremise de ses collections d’archives, de conférences et de publications.
Article available in English : Sacred Heart College, Sudbury
La mise en place de l’institution
Le rêve de l’établissement d’un collège d’enseignement classique circule dans la région de Sudbury depuis de nombreuses années, soit dès l’arrivée du chemin de fer qui a conduit à l’ouverture de terres agricoles et à la venue d’une nombreuse population canadienne-française (NOTE 1). En 1886, le père Hormidas Caron, s. j., curé de la Paroisse Sainte-Anne, première paroisse catholique sudburoise, achète 300 acres de terrain de la compagnie du Pacifique Canadien, en vue de l’établissement éventuel d’un collège. En 1905, le R. P. Édouard Lecompte, s. j., supérieur de la mission canadienne des Jésuites, obtient l’assentiment de l’évêque titulaire du diocèse de Sault-Ste-Marie, Mgr David Joseph Scollard, pour la création d’une telle institution. Des pétitions et des requêtes sont ensuite soumises à diverses autorités gouvernementales et ecclésiastiques pour appuyer le projet.
Le premier recteur de l’institution (1913-1915), le père Gustave Jean, s. j., décrit ainsi le choix de Sudbury en tant que centre éducatif :
La ville de Sudbury, avec sa population de 6 à 7 000 âmes, dont une bonne moitié est catholique, et dont la population catholique est aux 4/5 française, a eu la préférence sur le Sault-Ste-Marie à cause de sa situation géographique plus centrale. Placée au centre du diocèse et aussi au centre de la population catholique la plus dense, elle est un point catholique stratégique, c’est vers les campagnes qui l’environnent que se dirigent de préférence les colons catholiques et qu’ils fondent des groupements paroissiaux. Géographiquement parlant, cette ville de progrès occupe une belle position. De nombreuses lignes de chemins de fer s’y entrecroisent et rayonnent dans toutes les directions. Elle est aussi un centre d’approvisionnement pour les nombreuses mines en exploitation qui l’environnent. Au dire des hommes d’affaires, c’est une ville qui est destinée à grandir considérablement (NOTE 2).
Le 25 mars 1912, le père général des Jésuites donne son approbation pour la construction d’un collège classique à Sudbury. La construction du nouveau collège commence donc sur le site réservé à cette fin par les pères Jésuites, à l’angle de l’avenue Notre-Dame et de la rue Kathleen, dans le quartier toujours connu sous le vocable Moulin à fleur (Flour Mill en anglais), afin de souligner la présence d’un tel moulin et des silos tout près du site de construction. Ce quartier est maintenant reconnu comme étant le secteur majoritairement francophone de la ville de Sudbury, au même titre que les quartiers de Vanier à Ottawa ou de Saint-Boniface à Winnipeg.
La bénédiction de la pierre angulaire du Collège a lieu le dimanche 25 août en présence de l’évêque du diocèse du Sault-Ste-Marie, Mgr Scollard, le R. P. Provincial des Jésuites, le juge Kehoe et le curé de Copper Cliff, Mgr Crowley. Les dispositions législatives encadrant le nouveau collège ont été rédigées quelques mois plus tard.
La charte du Collège du Sacré-Cœur
Adoptée par l’Assemblée législative de l’Ontario le 20 avril, 1914, la Charte du Collège du Sacré-Cœur (NOTE 3) établit les droits et les pouvoirs des autorités collégiales. Le ministre Charles McCrea joue un rôle de premier plan dans l’adoption de cette loi provinciale.
L’autorité du Collège du Sacré-Coeur a le droit :
- d’établir et de maintenir des Facultés, des Collèges universitaires, des Universités, des Observatoires, et d’autres institutions équivalentes;
- d’entreprendre et de développer l’étude des langues, de l’histoire, de la philosophie, et des autres disciplines du savoir.
L’autorité du Collège a le pouvoir :
- d’établir et de diriger dans la ville de Sudbury et ailleurs en la Province d’Ontario, des Collèges universitaires ou des Facultés... où les étudiants peuvent acquérir l’éducation libérale des arts et des sciences;
- d’organiser l’étude, le travail, la recherche dans ces disciplines... Afin de promouvoir la cause de l’éducation, soit générale et professionnelle, soit technique;
- de décerner certificats et diplômes;
- Afin d’atteindre les objectifs et fins de la dite autorité.(NOTE 4)
Le document législatif a été à l’origine de la création de l’Université de Sudbury à la fin des années 1950. Il a d’ailleurs été l’objet de nombreuses discussions en ce qui a trait à la création d’une université franco-ontarienne.
La fréquentation du Collège
Le 3 septembre 1913, Conrad Daigle fait son entrée au Collège du Sacré-Cœur de Sudbury, Ontario (NOTE 5). Originaire de Warren, village agricole à l’est de Sudbury, il est le premier de milliers d’élèves inscrits qui franchiront le seuil de cette institution d’enseignement dirigée par la Société de Jésus pendant plus d’un demi-siècle. Ses finissants occuperont d’importants rôles de leadership dans la communauté francoontarienne, et ailleurs dans le monde. Daigle, pour sa part, deviendra prêtre en 1931 et servira fidèlement le diocèse de Sault-Ste-Marie.
En cette première année, on compte 72 étudiants inscrits au Collège du Sacré-Cœur. Au fil des ans, les chiffres se sont maintenus dans les centaines. Par exemple, 203 étudiants sont inscrits au Collège en 1939, 262 en 1942 et 327 en 1947. La majorité de ces étudiants sont des pensionnaires (par exemple 240 sur 318 en 1952), alors que les autres sont des externes. Les élèves proviennent principalement de la région du moyen nord ontarien, dont les districts de Sudbury (Sudbury, Chelmsford, Noëlville, Chapleau) et de Nipissing (Sturgeon Falls, North Bay). Plusieurs arrivent des districts de Cochrane, Temiskaming et Algoma, alors que d’autres viennent du sud de la province ou d’ailleurs (Québec, Saskatchewan).
Les premiers finissants du cours classique dispensé au Collège reçoivent leur diplôme en 1922. On compte parmi eux Antonio Cantero, futur médecin et directeur de l’Institut du cancer de Montréal, Membre de la Société royale du Canada, Léon Lalande et Herman Fournier, futurs avocats, Gérard Fauteux, Denis Janisse et Denis Maurice.
La disposition physique du Collège du Sacré-Cœur
L’édifice du Collège connaît trois principales phases de construction de 1913 à 1963.
Le premier édifice, que l’on qualifie de vieille partie en 1963, comprend deux corridors superposés, ornés au nord et au sud d’une galerie. Au premier étage, se trouve une salle de récréation, la chapelle des élèves (y compris la sacristie et la procure), le réfectoire et la cuisine; le révérend père provincial y occupe un bureau, une chambre et un parloir. Une salle d’étude pour les étudiants et une classe, les chambres des jésuites, leur réfectoire et une salle de récréation se trouvent au second étage; une chambre particulière est réservée au père recteur du collège.
En 1926 et 1927, les dirigeants du Collège procèdent à l’expansion physique de l’édifice original, en raison de l’augmentation des effectifs. Au premier étage, l’ajout vers le nord permet l’aménagement d’une nouvelle salle de récréation pour les étudiants (avec espace pour le théâtre et la fanfare). L’ancienne salle de récréation est subdivisée en salles de classe, en dortoir, en salle de rencontre et en bibliothèque commune aux étudiants et aux pères jésuites. Le réfectoire des étudiants est également agrandi. La chapelle des élèves et une salle d’études se trouvent au deuxième étage. À cet étage de l’édifice original, on aménage l’espace afin d’ajouter des salles de classes (physique, chimie). Les locaux des pères sont essentiellement maintenus. Les troisième et quatrième étages de cette nouvelle aile comprennent des dortoirs.
Vers la fin des années 1920, les jésuites transforment un étang sur le terrain du Collège en une piscine récréative. Vingt ans plus tard, les côtés et le fond de la piscine seront recouverts de ciment. Des champs sportifs complètent bientôt l’aménagement du terrain.
Enfin, en 1951, on commence une troisième phase de construction afin d’aménager un gymnase et des salles de classe additionnelles.
La vie culturelle et sportive au Collège du Sacré-Cœur
Au Collège Sacré-Cœur, en plus des matières académiques traditionnelles que l’on connaît dans les collèges classiques (NOTE 6), dont l’instruction religieuse, le français, le latin, l’histoire moderne, les mathématiques, les sciences, le grec et l’anglais, les élèves sont aussi appelés à participer à de nombreuses activités parascolaires.
Dès sa fondation, la fanfare (NOTE 7) a occupé une place de choix pour les étudiants du Collège. Les troupes de théâtre (NOTE 8) ont en outre permis à plusieurs jeunes hommes de monter sur les planches. De 1915 à 1961, ces troupes ont mis en scène près de soixante-dix productions, dont plusieurs pièces de Molière (Le malade imaginaire en 1927 et 1952, Le bourgeois gentilhomme en 1930 et 1951 et Le médecin malgré lui en 1932 et 1953) et Cocteau (Oedipe-Roi en 1951), ainsi que des pièces rédigées par des pères jésuites. À ces deux arts, se joignent les arts visuels, par l’entremise du Cercle Matisse. La chorale du collège, Les compagnons du Sacré-Cœur, permet aux jeunes voix de présenter le répertoire chansonnier de l’époque.
Que ce soit l’équipe de hockey, de ballon-panier ou d’athlétisme, les équipes sportives (NOTE 9) ont toujours joué un rôle primordial dans la formation collégiale des jeunes hommes. Les pères jésuites reconnaissaient l’importance d’un « sain épanouissement du corps pour le bon développement d‘une saine intelligence ».
Divers conférenciers se sont prononcés sur plusieurs questions d’intérêt devant les étudiants du Collège. Au cours des années, on accueille de nombreux visiteurs de marque, dont le Frère André (1916), le sénateur Philippe Landry (1917), Henri Bourassa (1921), Lord Byng, gouverneur-général du Canada (1922), Séraphin Marion, archiviste du Dominion et homme de lettres franco-ontarien (1929), Arthur Leblanc, violoniste (1944 et 1946), le chanoine Lionel Groulx (1944), Lester B. Pearson, ministre des affaires extérieures (1951) et Mgr Félix-Antoine Savard (1952).
Au fil du siècle, les collégiens, comme on appelait les élèves du Collège, participent à de nombreuses œuvres parascolaires. Parmi ces clubs et associations, citons entre autres le Cercle Philippe-Landry, la Société Saint-Vincent-de-Paul, Les jeunes naturalistes, le Cercle Lacordaire, la Caisse populaire, et le Service missionnaire des jeunes. Les futurs journalistes ont aussi l’occasion de participer à la rédaction de nombreux journaux du collège, dont Le Gaillard (fondé en 1920), Le Lien (1938) et Promesses (1949) (NOTE 10).
Les anciens du Collège du Sacré-Cœur
Plusieurs anciens du Collège sont devenus des leaders dans leur communauté et dans leur profession respective. Avocats, prêtres réguliers et séculiers, techniciens, marchands, médecins, enseignants, professeurs, comptables, dentistes, fonctionnaires ont contribué de façon considérable à l’épanouissement de la communauté francophone de l’Ontario et de la société canadienne.
Parmi les finissants de marque du Collège du Sacré-Cœur, on compte l’homme de lettres Jean Éthier-Blais, le député fédéral libéral pour la circonscription de Nickel Belt (1958-1965) Osias Godin, le fondateur du journal L’ami du peuple Camille Lemieux, l’évêque de Hearst (1973-1993), Mgr Roger Despatie, le professeur émérite en lettres françaises de l’Université d’Ottawa Robert Vigneault, le chansonnier Robert Paquette, l’animateur à la Société Radio-Canda Denis St-Jules, et André Paiement, comédien, dramaturge, metteur en scène, auteur-compositeur-interprète, cofondateur du Théâtre du Nouvel-Ontario et de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO), entre autres. L’écologiste Pierre Dansereau, originaire du Québec, y aura également passé un an en tant qu’élève.
Après le premier conventum et la première réunion des anciens tenus le 17 juin 1928, de nombreuses promotions se sont réunies au fil des ans, réaffirmant ainsi la fraternité créée au sein de cette institution d’enseignement supérieur.
Quelques enseignants laissent leur marque dans le parcours historique de l’institution : les pères jésuites Rodolphe Dubé, alias François Hertel, pamphlétaire, Germain Lemieux, ethnologue et fondateur du Centre franco-ontarien de folklore, et Gilles Garand, fondateur de La troupe universitaire à l’Université Laurentienne.
Une mémoire à préserver
Le Collège du Sacré-Cœur ferme ses portes en 1967, au moment même où la province de l’Ontario se prépare à financer l’enseignement secondaire en français, période de questionnement important en Ontario français (NOTE 11).
Le Collège du Sacré-Cœur fait partie du patrimoine culturel de la vie française à Sudbury et de l’Ontario français, tant par sa présence physique en tant que point rassembleur de la communauté franco-ontarienne que par son rayonnement dans plusieurs sphères de l’activité humaine. Un ancien du Collège, Maurice Fredette, résume bien la mission éducative des pères jésuites dans le Nord de l’Ontario :
Le rôle du Collège! De nos jours, ce rôle est assez semblable à l’ancien : sauvegarder la langue française dans un milieu anglais. Je regarde le Collège comme étant une institution qui veille surtout à former des hommes et qui se préoccupe moins de ce que les élèves sachent par cœur toutes les notions étudiées. L’important n’est pas d’apprendre par cœur faits et formules, mais de savoir juger et comprendre. Le rôle du Collège est de former des hommes capables de lutter pour le français et pour la religion, des hommes capables de servir dans la société (NOTE 12).
Dans Le Lien (NOTE 13), un ancien du collège termine son témoignage avec le souhait « Ad multos annos! » Malgré la fermeture de ses classes, l’enseignement classique dispensé par les pères jésuites au Collège du Sacré-Cœur continue d’avoir des retombées positives sur l’ensemble de la société franco-ontarienne. Le Collège du Sacré-Cœur survit à l’épreuve du temps.
Récemment, le Conseil scolaire de district catholique du Nouvel-Ontario a ouvert les portes de l’École secondaire catholique du Sacré-Cœur, sur l’emplacement même de l’ancien collège; on y a conservé quelques vestiges architecturaux en guise d’hommage aux précurseurs de l’enseignement secondaire en français dans la région de Sudbury.
Pierre Riopel
NOTES
1. Le Lien (Sudbury, Collège du Sacré-Cœur), vol. XIV, no 1, octobre 1963, p. 5.
2. Ibid., p. 6.
3. Ibid., p. 10.
4. Ibid., p. 6.
5. Ibid.
6. André Bertrand, L’éducation classique au Collège du Sacré-Cœur, Sudbury, Société historique du Nouvel-Ontario, 1988, p. 19-25.
7. Le Lien, p. 19.
8. Ibid., p. 41-43.
9. Ibid., p. 46-48.
10. Ibid., p. 60.
11. Gérard Boulay, Du privé au public : les écoles secondaires franco-ontariennes à la fin des années soixante, Sudbury, Société historique du Nouvel-Ontario, 1987, 85 p.
12. Le Lien, p. 45.
13. Ibid., p. 20.
BIBLIOGRAPHIE
Bertrand, André, L’éducation classique au Collège du Sacré-Cœur, Sudbury, Société historique du Nouvel-Ontario, 1988, 64 p.
Boulay, Gérard, Du privé au public : les écoles secondaires franco-ontariennes à la fin des années soixante, Sudbury, Société historique du Nouvel-Ontario, 1987, 85 p.
Gervais, Gaétan, « L’enseignement supérieur en Ontario français (1848-1965) », Revue du Nouvel-Ontario, no 7, 1985, p. 11-52.
Gervais, Gaétan, et Michel Bock, L’Ontario français : des Pays-d’en-Haut à nos jours, Ottawa, Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques, 2004, 271 p.
Gervais, Gaétan, et Jean-Pierre Pichette (dir.), Habiter le pays : inventaire du patrimoine de l’Ontario français, Sudbury, Prise de parole et Centre franco-ontarien de folklore, 2001, 270 p.
Godbout, Arthur, Nos écoles franco-ontariennes : histoire des écoles de langue française dans l’Ontario des origines du système scolaire (1841) jusqu’à nos jours, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1980, 144 p.
Le Lien (Sudbury, Collège du Sacré-Cœur), vol. XIV, no 1, octobre 1963, 66 p.
Sylvestre, Paul-François, L’Ontario français au jour le jour : 1384 éphémérides de 1610 à nos jours, Toronto, Éditions du Gref, 2005, 337 p.
Toupin, Robert, « Le rôle des jésuites dans l’enseignement classique et universitaire de la région de Sudbury », Revue de l’Université Laurentienne, vol. II, no 4, juin 1971, p. 73-77.
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