Musée du château Ramezay à Montréal
par Fournier, Martin
La prestigieuse résidence familiale construite en 1705 pour le gouverneur de Montréal Claude de Ramezay abrite aujourd'hui un musée historique, le Musée du Château Ramezay, situé face à l'Hôtel de ville, au cœur du Vieux-Montréal. Ce bâtiment est l'un des seuls témoins du Régime français à subsister dans la métropole. Ouvert en 1895, le Musée du Château Ramezay est alors le premier musée consacré à l'histoire au Québec. Ce bâtiment est en outre le premier à avoir été classé monument historique par la Commission des monuments historiques de la province de Québec en 1929. Le parcours unique de cette résidence trois fois centenaire illustre de façon exemplaire l'évolution du rôle et de la place du patrimoine dans la société québécoise et canadienne.
Article available in English : The Château Ramezay Museum, Montreal
Un révélateur historique et patrimonial
Tour à tour maison familiale du gouverneur de Montréal Claude de
Ramezay, résidence secondaire des intendants de la Nouvelle-France,
bureau des gouverneurs anglais du Bas-Canada, faculté de médecine de
l'Université Laval à Montréal, puis musée d'histoire, le Musée du
Château Ramezay accueille aujourd'hui 50 000 visiteurs par année en
moyenne. Ce bâtiment est un symbole proéminent des origines françaises
de la ville de Montréal, par l'ancienneté de sa construction remontant
au Régime français, par son style architectural, par certains objets
qu'on y expose et par le jardin à la française qu'on y a aménagé
récemment. Il incarne également les influences britanniques qui ont
marqué Montréal et le Québec, à travers les démarches de création du
musée, par les origines d'une partie de ses collections et par les
personnes qui y ont rassemblé un patrimoine d'une valeur
exceptionnelle. Enfin, par sa programmation multiculturelle reflétant
la réalité cosmopolite du Montréal contemporain, cette institution
offre un véritable panorama de l'histoire du Québec.
L'essor de la conscience patrimoniale
Au cours du 19e siècle, l'intérêt pour l'histoire se
développe rapidement en Europe et aux États-Unis. Le Canada ne fait pas
exception à la règle, aussi voit-on émerger des sociétés savantes
constituées de personnes à l'aise et éduquées - notamment à Montréal -
qui se préoccupent d'histoire et de culture. Les membres de ces
sociétés développent des intérêts et des passions diverses, ils se
rencontrent régulièrement, échangent entre eux et avec des
correspondants d'autres pays. À la faveur de leurs voyages, ils
découvrent des courants de pensée et des exemples qui stimulent leur
intérêt et leur engagement. En 1862, deux sociétés savantes de
Montréal, l'une francophone, l'autre anglophone, s'unissent pour créer
la Société de numismatique de Montréal. Peu après, celle-ci recrute de
nouveaux membres et élargit ses champs d'intérêt pour devenir la
Société de numismatique et d'archéologie de Montréal.
À cette époque, la numismatique, science des monnaies et des médailles,
joue un rôle important de commémoration et de marqueur historique
fiable. En outre, plusieurs membres de cette nouvelle Société
s'adonnent à des fouilles archéologiques en dilettante, dans le but de
mettre à jour les traces du passé. Cette Société se donne comme mission
d'inscrire dans la culture et la mémoire collective des événements, des
lieux et des personnages marquants. Ses membres posent des plaques
commémoratives, collectionnent les objets anciens et achètent des
livres d'histoire, de science et de culture. En 1892, ils organisent
une grande exposition pour souligner le 250e
anniversaire de la ville de Montréal et participent à l'érection d'une
statue de son fondateur, le Sieur Chomedey de Maisonneuve. Les membres
de la Société ont pleinement conscience qu'il est primordial de
sauvegarder les témoins « authentiques » qui subsistent encore de la
période française de l'histoire de Montréal. C'est pourquoi ils se
retrouvent bientôt au centre du combat qui vise à sauver le Château
Ramezay de la destruction, ce bâtiment auréolé de prestige.
L'histoire du bâtiment
En 1705, Claude de Ramezay, nommé gouverneur de Montréal (NOTE 1)
l'année précédente, se fait construire une résidence qu'on peut
certainement qualifier d'opulente, dans une colonie modeste comme l'est
alors la Nouvelle-France. Elle est construite en pierres des champs,
sur trois étages, incluant la cave voûtée et le grenier, et fait 60
pieds de long par 36 pieds de large (18 mètres par 11 mètres). Après le
décès du gouverneur Ramezay, en 1724, sa veuve loue la maison au
gouvernement qui l'utilise vraisemblablement comme résidence secondaire
des intendants de la colonie (NOTE 2),
lorsqu'ils sont de passage à Montréal. En 1745, les enfants héritiers
vendent la résidence à la Compagnie des Indes occidentales, alors
responsable de tout le commerce colonial de l'empire français. La
Compagnie y effectue des changements majeurs en 1756 - le contrat
stipule qu'on y effectuera un « rétablissement et agrandissement » de
la maison - qui accroissent les dimensions du bâtiment du tiers. C'est
de cette deuxième phase de construction remontant au Régime français, à
l'époque où le style des bâtiments urbains en pierre s'est stabilisé en
Nouvelle-France, que date une bonne partie du Château Ramezay actuel,
les plus vieilles parties remontant à 1705. Plusieurs autres
modifications sont survenues par la suite, notamment l'ajout d'ailes
secondaires aujourd'hui disparues et le passage d'un toit plus haut et
plus pentu au toit actuel. L'autre modification toujours visible
consiste en la construction d'une annexe à laquelle on a ajouté deux
tourelles décoratives en 1902-1903, dans le style « château » très en
vogue à cette époque, qui prolonge le corps principal du bâtiment, côté
est.
Les résidents et les usages successifs du Château Ramezay contribuent
pour beaucoup à la valeur historique du bâtiment. Outre le gouverneur
de Montréal et les intendants de la Nouvelle-France, ainsi que les
gouverneurs anglais du Bas-Canada, qui y logeaient ou y travaillaient à
diverses périodes, citons tout particulièrement Benjamin Franklin.
C'est en effet au Château Ramezay que cet intellectuel a convoqué des
représentants canadiens-français pour tenter de les rallier à la cause
de la Révolution américaine, en 1776, Montréal étant alors
temporairement entre les mains des Américains. Le Château Ramezay et
ses ailes secondaires ont aussi abrité successivement le Palais de
justice de Montréal, la Cour des magistrats, le ministère de
l'Instruction publique et les facultés de médecine et de droit de
l'Université Laval à Montréal.
Dans les dernières années du 19e siècle, le
gouvernement se désintéresse cependant de ce vieux bâtiment usé et
dévisagé par les modifications et ajouts successifs, d'autant plus que
le terrain sur lequel il est construit a acquis beaucoup de valeur. On
songe donc à le vendre à des promoteurs qui s'empresseraient de le
démolir pour y construire du neuf. C'est à ce moment que s'engage le
combat de la Société d'archéologie et de numismatique de Montréal pour
sauver le Château Ramezay
Le combat pour la sauvegarde du Château Ramezay
Dans les années 1890, Montréal est devenue une grande ville
industrielle, la métropole économique du Canada. Sa croissance
extrêmement rapide confère une grande valeur aux terrains situés au
centre-ville qui sont très convoités. Les promoteurs débordent de
projets et n'ont que faire des vieilles pierres et des souvenirs
nostalgiques. Le progrès et le profit sont les nouveaux leitmotivs.
Tous les regards se tournent vers l'avenir. Tous, sauf ceux d'une
poignée de passionnés qui combattent pour que le témoignage du passé,
pour que la présence de l'histoire au sein de la société, enrichissent
la culture et nourrissent le développement.
Des membres influents de la Société d'archéologie et de numismatique de
Montréal, tels que le juge et ancien politicien Georges Baby ainsi que
l'archéologue amateur et homme d'affaires William D. Lightall, sont
convaincus que la valeur historique du Château Ramezay est bien plus
grande que la valeur monétaire du terrain sur lequel il est construit.
La Société met alors de l'avant un projet qui mettrait pleinement en
valeur ce bâtiment unique, tout en remplissant la mission qu'elle s'est
donnée. Il s'agit d'un projet de musée d'histoire permanent, reposant
sur les collections rassemblées par les membres de la Société. Après
plusieurs mois de représentations diverses, la ville de Montréal
accepte de soutenir le projet et acquiert le bâtiment du gouvernement
du Québec en 1894. Elle le loue ensuite à la Société pour le montant
symbolique d'un dollar. Finalement, grâce au travail assidu des membres
de la Société, le premier musée consacré spécifiquement à l'histoire du
Canada ouvre ses portes dans le Château Ramezay en 1895.
Deux visions successives de l'histoire et du patrimoine
À ses débuts, soit au tournant du 19e et du 20e siècle, le Musée du Château Ramezay présente au public l'histoire des deux peuples fondateurs du Canada, les Français et les Anglais, reflet de la cohabitation harmonieuse qui règne au sein de la Société d'archéologie et de numismatique de Montréal, sans oublier toutefois les acteurs des Premières nations. Le musée propose donc une histoire unificatrice, centrée sur les grands personnages qui ont marqué l'évolution du pays, comme il était de mise à l'époque. On expose une galerie de portraits qui comprend notamment ceux de Cartier et de Champlain, du gouverneur Carleton et du général Grant, du grand chef Tecumsay et du politicien Louis Riel, complétée par des objets ayant appartenu à ces grands personnages. On aménage également des salles thématiques portant sur les explorateurs, les militaires, les religieux et les autochtones. Les principaux objectifs du Musée sont alors de stimuler la fierté d'être Canadien et d'encourager la population, tout particulièrement la jeunesse, à suivre l'exemple édifiant de ses prédécesseurs. La Société se montre de plus à l'avant-garde de son époque en ouvrant au Château Ramezay la première bibliothèque publique à Montréal, grâce aux très nombreux livres appartenant à ses membres, et en créant une section féminine en 1896.
Certains bénévoles de la Société habitent sur place en permanence, afin
de constituer et de gérer les collections, d'accueillir le public,
d'organiser les activités et de mener les campagnes de financement.
L'argent provient surtout des membres de la Société et des milieux
aisés et cultivés de Montréal, car les gouvernements se montrent
toujours réticents à investir dans ce vieux bâtiment plus ou moins
utile à leurs yeux. Plusieurs bienfaiteurs de cette œuvre culturelle
trouvent leur inspiration à l'étranger, tout particulièrement aux
États-Unis.
Les membres de la Société doivent continuer à se battre pour justifier
l'existence du musée et la sauvegarde du bâtiment, car sa préservation
et sa mise en valeur coûtent cher. En témoignent les travaux réalisés
notamment en 1903, qui éliminent l'une des ailes fonctionnelles
ajoutées tardivement au Château lui-même, et la construction des
tourelles décoratives. En 1929, la ville de Montréal accepte finalement
de céder le bâtiment à la Société en échange d'un don de 10 000 livres
provenant de ses membres, legs qui permettra d'ouvrir la première
bibliothèque municipale à Montréal. Sans attendre, Victor Morin, qui
est alors le président de la Société et qui siège également à la
Commission des biens et monuments historiques du Québec, fait classer
le Château Ramezay bien historique national, afin d'assurer sa
sauvegarde à long terme. Une première au Québec.
Jusqu'aux années 1970, la restauration du bâtiment, effectuée tous les
20 ou 25 ans, n'altère guère son style extérieur ni son aménagement
intérieur, à l'exception des travaux réalisés en 1902-1904. Mais en
1972, en pleine montée du nationalisme québécois et en accord avec une
nouvelle vogue dans la restauration, le Château Ramezay se transforme
en profondeur. Pour la première fois, des professionnels participent
aux travaux de restauration et d'aménagement. La Fondation privée
Mcdonald-Stewart investit la somme considérable d'un million de dollars
afin de redonner au Château Ramezay une allure principalement inspirée
de la Nouvelle-France. Comme à la Place Royale, à Québec, restaurée à
la même période, on décide de « refaire » du vieux. Les boiseries
intérieures datant du 19e
siècle sont éliminées. On nettoie tout l'intérieur jusqu'aux murs de
pierres, qu'on recouvre de crépi, comme autrefois. Sont évacuées
également les collections du musée qui couvrent le Régime anglais, afin
de privilégier le Régime français. On tente de reconstituer le plus
fidèlement possible la résidence du gouverneur Ramezay, en ne
conservant que deux pièces datant de l'époque des gouverneurs anglais.
Enfin, on installe des boiseries authentiques provenant des bureaux de
la Compagnie des Indes occidentales à Nantes, en France, dans une autre
section du musée. Par ces travaux d'envergure et par les nouvelles
expositions mises en place en 1976-1977, le Musée du Château Ramezay
devient un musée ethnologique, où le public peut découvrir
principalement le mode de vie des habitants de la Nouvelle France et
des autochtones aux 17e et 18e siècles.
Le passage au 21e siècle
L'année 1992 marque la fin de cette période essentiellement axée sur la
Nouvelle-France. Afin de faire place à une grande exposition marquant
le 350e anniversaire de la ville de Montréal, en collaboration avec
deux autres musées historiques de Montréal, le Musée McCord et le tout
nouveau Musée de la Pointe-à-Callières, le Château Ramezay est à
nouveau vidé d'une bonne partie de son mobilier. Trois ans plus tard, à
l'occasion de son 100e
anniversaire, on redéfinit aussi la mission du Château Ramezay, qui
doit dorénavant composer avec la proximité de ces deux musées
historiques d'envergure. C'est finalement la vocation d'origine qui
sera privilégiée, soit la mise en valeur de ses collections
diversifiées couvrant plusieurs époques de l'histoire de Montréal. Un
jardin aménagé à la française vient en outre remplacer le stationnement
asphalté en l'an 2000.
Cette réactualisation de l'orientation initiale du musée reflète
l'évolution de la ville de Montréal. Les Amérindiens, les Français et
les Anglais font partie de l'exposition permanente. Les expositions
itinérantes ajoutent à la variété des époques et des sujets couverts et
permettent au Musée de suivre l'actualité culturelle et historique.
Enfin, la programmation multiculturelle témoigne de l'évolution récente
des clientèles du Musée et de la réalité contemporaine de Montréal.
Martin Fournier
Historien, Ph.D.
Coordonnateur
Encyclopédie du patrimoine culturel de l'Amérique française
NOTES
1. Il existait trois postes de gouverneur en Nouvelle-France. Le plus
important était celui de gouverneur général de la colonie, qui était le
représentant direct du roi de France en Nouvelle-France. Le gouverneur
général résidait à Québec et il était responsable des affaires
extérieures et de l'armée. Deux gouverneurs particuliers, résidant l'un
à Trois-Rivières et l'autre à Montréal, avaient pour fonction d'assurer
la présence du pouvoir royal dans les deux autres centres urbains
(c'est-à-dire des centres de services) de la colonie. Ces gouverneurs
particuliers étaient sous l'autorité du gouverneur général, mais leur
fonction était néanmoins prestigieuse et comportait des pouvoirs et
privilèges non négligeables.
2.
L'intendant est le second personnage en importance dans la colonie. Il
est nommé par le roi de France. Il a la responsabilité de gérer les
finances, la police (d'assurer l'ordre et la sécurité) et la justice en
Nouvelle-France. Vu l'étendue de ses responsabilités, il est arrivé que
l'intendant surpasse le gouverneur général en pouvoir et en autorité.
BIBLIOGRAPHIE
Cloutier, Nicole, « Château de Ramezay », dans Québec, Commission des biens culturels, Les chemins de la mémoire, t. II : Monuments et sites historiques du Québec, Québec, Publications du Québec, 1991, p. 38-40.
Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés
Vidéo
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Fabrication de meubles (Film muet) Ce film présente une exposition de meubles anciens tenue au Château Ramezay, à Montréal, en 1963. On voit également l’École du Meuble de Montréal, en 1947, où des étudiants réalisent des chaises dans les ateliers. On montre les différents types de bois utilisés, les croquis de meubles différentes techniques de fabrication. Les dernières images présentent divers styles de meubles produits à différentes périodes du XXe siècle.
Vidéo basse résolution - Poids : 26743 Ko
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