Parc Montmorency
par Caron, Jean-François
Le parc Montmorency est situé au sommet de la côte de la Montagne, à Québec, et il voisine l’archevêché et l’ancien hôtel des postes. Il a été désigné lieu historique national en 1949 pour commémorer l’un des lieux de réunion de l’Assemblée législative de la province du Canada entre 1841 et 1866, un jalon important de l’histoire de la démocratie au Canada. Plusieurs autres événements et bâtiments ont enrichi le passé de cet endroit qui a été tour à tour un lieu sacré, où ont été inhumés plusieurs pionniers de la Nouvelle-France, un lieu de pouvoir religieux et civil, ainsi qu’un site militaire stratégique. Le parc Montmorency a été la scène de grandes premières historiques.
Article available in English : Montmorency Park
Une valeur patrimoniale exceptionnelle
Le site constitue aujourd’hui l’un des rares parcs publics du Vieux-Québec. Gazonné et parsemé de nombreux arbres adultes, un réseau de sentiers permet d’y circuler librement. Aucun bâtiment n’y subsiste, mais plusieurs plaques et monuments commémoratifs y sont érigés.
Ce parc revêt une grande valeur patrimoniale surtout en raison des bâtiments de grande importance qui s’y sont succédé. Il est bordé à l'est, au sommet de la falaise, par un tronçon des murs de fortification de Québec, de la batterie de l’Assemblée, d’une tenaille et d'une partie de la Grande Batterie. On y retrouve également de nombreux vestiges archéologiques, tels ceux d’ouvrages défensifs, du Palais épiscopal, des parlements successifs du Bas-Canada, de la province du Canada et de celle du Québec, de plusieurs bâtiments civils et du premier cimetière de la Nouvelle-France. Enfin, des éléments du paysage et plusieurs percées visuelles rappellent que ce lieu a été une place forte hautement stratégique.
1616-1792 : un lieu aux multiples fonctions
L’histoire du lieu débute dès 1616, alors que les missionnaires récollets y cultivent un jardin. En 1618, ils échangent ce lopin de terre avec Louis Hébert contre un terrain que celui-ci possède en bordure de la rivière Saint-Charles. Cet échange informel est officialisé en 1623 lorsqu’Henri II, duc de Montmorency, vice-roi de la Nouvelle-France, en accorde le titre à Louis Hébert. C’est la première concession de terre dans la vallée du Saint- Laurent. En 1626, le nouveau vice-roi, Henri de Lévis duc de Ventadour, l’érige en fief noble, le fief du Sault-au-Matelot, la première seigneurie de la colonie. Au cours des décennies qui suivent, on voit défiler plusieurs propriétaires qui viennent enrichir la chaîne de titres. Se succèdent ainsi de prestigieux occupants, des héritiers Hébert à François Provost, major de la ville et du château de Québec, en passant par Anne Gagnier, dont le gendre est Denis-Joseph Ruette, sieur d’Auteuil, procureur général du Conseil souverain et seigneur de l’arrière-fief Monceaux de la seigneurie de Sillery. L’intendant Jean Talon en devient également propriétaire pendant un certain temps. C’est finalement en 1688 que Mgr Jean-Baptiste de La Croix de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec et successeur de Mgr François de Laval, acquiert le terrain. On y ajoute ensuite le lot voisin occupé par le premier cimetière de la ville et on se départit de plusieurs autres parcelles, de sorte qu’en 1732, les limites actuelles du parc Montmorency sont fixées.
En faisant l’acquisition de ce bien-fonds, Mgr de Saint-Vallier achète également la maison en pierre à deux étages qui s’y trouve. Celle-ci fait désormais office de premier palais épiscopal et de siège du diocèse de Québec. L’année suivante, l’évêque amorce la construction d’un mur de maçonnerie pour ceindre sa propriété. De 1693 à 1695, il y fait construire un nouveau palais en pierre de taille. Le projet est ambitieux et c’est uniquement l’aile sud-est du bâtiment qui est construite. Après sa mort, seuls Mgr Pierre-Herman Dosquet et Mgr Jean-Marie Dubreuil de Pontbriand vont habiter le nouveau palais, respectivement de 1729 à 1732 et de 1741 à 1759,.
Lors du siège puis de la prise de Québec en 1759, l’édifice est partiellement détruit et les voûtes sont pillées. À partir de cette date, la chapelle est utilisée comme lieu de culte pour les anglicans de la ville. Elle sert également à diverses réunions publiques. Toutefois, il faut attendre jusqu’en 1766 pour que Jean-Olivier Briand, le nouvel évêque, fasse restaurer l’ensemble du palais. Ces travaux l’ayant endetté, il consent à louer l’édifice au gouvernement en 1777. Désormais, le gouverneur Guy Carleton et ses conseillers législatifs s’y réuniront. Ce sera le début de la vocation politique du lieu, bien que lors de l’incendie du palais de l’intendant, en janvier 1713, le palais épiscopal avait accueilli temporairement l’intendant Michel Bégon et le Conseil souverain.
La vocation politique du site se confirme
Avec la proclamation de l’Acte constitutionnel de 1791, Québec devient la capitale politique du Bas-Canada, quoique sans édifice parlementaire. Le palais épiscopal étant l’édifice le plus approprié, c’est dans sa chapelle que la première session de l’Assemblée législative siège le 17 décembre 1792. En 1831, après plusieurs années de tergiversations, Mgr Bernard-Claude Panet accepte enfin de se départir du palais épiscopal en le vendant au gouvernement. Il devient donc, à proprement parler, un véritable « hôtel du Parlement ». C’est alors que s’amorce une série d’importants travaux d’agrandissement et de restauration. Une fois complété, l’ensemble est magnifique. Mais le 1er février 1854, à peine les travaux terminés, un incendie détruit complètement le nouveau parlement (NOTE 1).
Entre-temps, en 1840, le Parlement britannique adopte l’Acte d’Union qui crée la province du Canada-Uni. La conséquence pour Québec est de troquer son titre de capitale contre celui de « Vieille Capitale ». C’est désormais à Kingston que siègeront les parlementaires. Toutefois, à la demande des députés, la nouvelle capitale est presque aussitôt transférée à Montréal. L’Assemblée y siège de 1844 à 1849, c’est-à-dire jusqu’au moment où une foule d’émeutiers incendie le parlement pour protester contre la loi indemnisant les habitants du Bas-Canada qui ont subi des pertes lors des rébellions de 1837-1838. La capitale est à nouveau forcée de déménager. On opte alors pour le principe d’une capitale itinérante. L’Assemblée siégera alternativement à Toronto et à Québec. Le premier tour de la ville de Québec arrive en 1852. Les parlementaires s’y réunissent jusqu’en 1855, puis de 1860 à 1865, alors qu’Ottawa est finalement choisie comme capitale permanente par la reine Victoria. Après l’incendie de 1854 et le retour à Québec de l’Assemblée prévu pour 1860, il faut cependant reconstruire un nouvel édifice. C’est ce qui est fait en 1859 et 1860. Conçu pour servir de bureau de poste lorsque la capitale déménagera à Ottawa, le nouvel hôtel du Parlement est généralement décrit comme un édifice quelconque.
Avec l’avènement de la Confédération, en 1867, Québec est choisie comme capitale de la nouvelle province de Québec. L’ancien parlement colonial devient donc le siège du nouveau gouvernement provincial. Rapidement toutefois, l’édifice s’avère trop exigu pour y accueillir tous les ministères. En 1872, on construit donc un nouvel hôtel des postes, de l’autre côté de la côte de la Montagne, et en 1876, on amorce la construction d’un nouvel hôtel du Parlement sur le terrain appelé Cricket Field, face aux fortifications (NOTE 2). Les députés et fonctionnaires y emménagent plus vite que prévu puisque le 19 avril 1883, l’hôtel du Parlement est une fois de plus détruit par un incendie.
Les usages militaires
Outre ses vocations religieuse et politique, le site du parc Montmorency a eu une fonction militaire. En effet, sa position de commandement sur la vaste rade de Québec offre un point de vue imprenable sur le fleuve, sur la Pointe-Lévis, sur l’île d’Orléans et la baie de Beauport. C’est ainsi que, dès 1711, l’ingénieur militaire Jean-Maurice-Josué Boisberthelot de Beaucours construit la batterie du Clergé (Grande Batterie) dans le secteur du palais épiscopal. Au lendemain du 13 septembre 1759, les Anglais réparent sommairement les ruines du palais pour y loger des troupes. En 1762, James Murray note l’importance stratégique du lieu et y fait monter une autre batterie, juste derrière le palais. En 1797, la porte Prescott est construite pour contrôler l’accès à la haute-ville par la côte de la Montagne puis, à partir de 1808, on érige un mur entre la batterie du Clergé et la porte Prescott. On y installe alors les batteries de l’Assemblée et Prescott.
Un parc public
C’est dans l’esprit de l’idéal romantique et de l’embellissement urbain du XIXe siècle que s’inscrit l’aménagement du parc Montmorency que nous connaissons aujourd’hui, en continuité avec le projet de conservation des fortifications mis de l’avant par le gouverneur général Lord Dufferin. En 1883, à la suite de l’incendie de l’hôtel du Parlement et du départ des militaires britanniques (1871), le site de l’ancien palais épiscopal demeure inoccupé et jonché de ruines. En juin 1893, après un nettoyage, le gouvernement fédéral loue le terrain à la « cité » de Québec. On en fait un jardin public, le « parc Frontenac », bien que ce nom soit peu commode puisque le parc est situé à proximité d’un nouvel hôtel prestigieux qui porte le même nom. En 1904, des citoyens déposent donc une pétition au conseil municipal pour faire changer ce nom en celui de « jardin Montmorency ». Les pétitionnaires trouvent ce toponyme plus adéquat. Selon eux, on pourrait honorer la mémoire d’un vice-roi de la Nouvelle- France, Henri II, duc de Montmorency, et du premier évêque de Québec, Mgr de Laval, membre de la prestigieuse famille française de Montmorency. C’est ainsi qu’en 1908 naît officiellement le parc Montmorency. Le mur de pierre du parc est alors bordé d’une haie d’acacias et ses allées de sable rouge et ses massifs de verdure sont ombragés par de larges saules. Dans le retrait du mur de fortifications se trouve un kiosque, comme ceux qui occupent toujours la terrasse Dufferin. Par leur geste, les citoyens viennent de s’approprier collectivement ce lieu de mémoire.
Un haut lieu historique
Depuis le début du XVIIe siècle, l’emplacement du parc Montmorency a donc été le témoin privilégié d’une série d’événements qui en ont fait un haut lieu de l’histoire de la ville de Québec et du Canada. C’est au moment de l’inauguration du parc, au cours des fêtes du tricentenaire de Québec, en 1908, que débute la commémoration de plusieurs de ces épisodes historiques et de leurs acteurs. Ainsi, toujours en 1908, la Literary and Historical Society of Quebec commandite l’installation d’une plaque rappelant l’emplacement du premier cimetière de Québec. Par la suite, la Société historique de Québec y érige une croix. Ces premières commémorations évoquent le caractère sacré que cette partie du site avait jusqu’au début du XVIIIe siècle, quand on a cessé d’y faire des inhumations En 1974, Parcs Canada remplace la croix d’origine par une réplique et en 1993, la Fédération des familles souches du Québec ajoute une nouvelle plaque remémorant l’inhumation d’Amérindiens et de pionniers français à cet endroit.
Entre 1902 et 1924, la Literary and Historical Society of Quebec appose également plusieurs plaques rappelant les faits militaires de Québec, dont celle marquant la localisation de l’ancienne porte Prescott dans la côte de la Montagne.
Plus au nord, à l’emplacement des anciens édifices parlementaires, les actes de commémoration prennent une couleur politique. En septembre 1920, le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau inaugure un monument à la mémoire de George-Étienne Cartier, premier ministre du Canada-Uni et l’un des Pères de la Confédération canadienne. Peu après, en 1935, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada dévoile une plaque rappelant l’émission, en 1824, du premier brevet d’invention canadien par le Parlement du Bas-Canada. Les commémorations politiques se poursuivent lorsqu’en 1949, le même organisme désigne le parc Montmorency pour son importance historique nationale. En 1964, le comité local de la célébration du jubilé de diamant de la Confédération appose une plaque de cuivre sur un bloc de granit pour marquer l’endroit où le pacte confédératif a été signé, 100 ans plus tôt, à l’occasion de la conférence de Québec. Enfin, en 1986, la Commission fédérale dévoile une autre plaque qui évoque le souvenir du lieu de réunion de l’Assemblée législative de la province du Canada, puis de la province de Québec, ainsi que de la conférence de Québec en 1864.
En mai 1966, la flamme mémorielle se ravive lorsqu’un entrepreneur qui s’affaire à consolider le mur de soutènement du parc découvre des vestiges archéologiques. Pendant plusieurs semaines, les ministères concernés, des organismes culturels et la population dissertent sur l’avenir du parc. Cet événement conduit finalement au réaménagement du site au début des années 1970. C’est dans cette foulée que le monument de Louis Hébert est déplacé de la place de l’Hôtel-de-Ville vers l’extrémité nord-ouest du parc Montmorency. Il avait été initialement dévoilé en 1918 par la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec. Le pionnier revient donc sur ses terres en 1977. Ce monument rappelle non seulement sa mémoire et celle de sa famille, mais également celle de 47 autres colons établis parmi les premiers en Nouvelle-France.
Au-delà des commémorations officielles, un observateur attentif peut découvrir plusieurs éléments qui évoquent l’histoire du site. Par exemple, sur le parement extérieur du mur de soutènement de la côte de la Montagne, cinq pierres de borne du Board of Ordnance signalent encore les limites de l’ancienne propriété militaire. La seule présence de l’escalier menant du trottoir de la côte de la Montagne au parc rappelle l’entrée principale des trois bâtiments majeurs qui se sont succédé à cet endroit. Signe que le parc n’a pas encore révélé tous ses secrets, une pierre gravée à cet endroit du millésime 1815 nous laisse ignorant sur sa signification. Enfin, l’enfilade de canons qui s’étire en direction nord-ouest, le long des remparts, confirme l’importance stratégique du lieu pendant des décennies.
Un équilibre entre préservation et accessibilité
Au fil du temps, la population de Québec s’est approprié ce lieu de mémoire. Dès qu’un événement culturel populaire se tient dans l’arrondissement historique de Québec, le parc Montmorency est pris d’assaut par les participants en raison notamment de sa situation géographique. À titre de gardien de ce site exceptionnel, Parcs Canada fait face au défi d’assurer, d’une part, la protection et la mise en valeur de ce lieu historique national et, d’autre part, son utilisation par le plus grand nombre possible d’usagers.
Jean-François Caron
Historien
Société historique de Québec
NOTES
1. Il est à noter que c’est dans cet édifice que, de 1845 à 1850, le conseil municipal de Québec a siégé.
2. C’est-à-dire au même endroit que le Parlement actuel.
Bibliographie
a) Sur le lieu historique national du Canada du Parc-Montmorency :
Parcs Canada, Énoncé d’intégrité commémorative du LHNC du Parc-Montmorency, Québec, Parcs Canada, 2004, 35 p.
b) Sur l’histoire du palais épiscopal :
Têtu, Henri, Histoire du palais épiscopal de Québec, Québec, Pruneau et Kirouac, 1896, 304 p.
c) Sur l’histoire du parlementarisme à Québec :
Blais, Christian (dir.), Québec : quatre siècles d’une capitale, Québec, Publications du Québec, 2008, 692 p.
d) Sur l’histoire militaire à Québec :
Bernier, Serge (dir.), Québec, ville militaire, 1608-2008, Montréal, Art global, 2008, 354 p.
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