Maison de Louis-Joseph Papineau à Montréal

par Fortier, Yvan

 

Interprétation de la maison Papineau par Georges Delfosse

Louis-Joseph Papineau (1786-1871), homme politique de la plus haute notoriété, possédait depuis 1814 l'une des plus belles maisons de Montréal. En 1831-1832, il la rénova pour la rendre plus attrayante encore. L'architecture et l'aménagement intérieur témoignent du mélange des influences françaises et anglaises qui caractérisent cette époque. En 1834 et en 1837, sa maison fut l'objet d'attaques de la part des loyalistes, puis des membres du Doric Club, opposés à Papineau et à l'émancipation des Canadiens. Cette demeure illustre donc non seulement le drame personnel de Papineau, mais aussi celui de la collectivité canadienne à l'époque des insurrections de 1837-1838. Sa restauration, au début des années 1960, fut le fer de lance du mouvement de renaissance du Vieux-Montréal.

Article available in English : Louis-Joseph Papineau House in Montreal

Un amalgame révélateur

Louis Joseph Papineau, 1878

Louis-Joseph Papineau, figure emblématique de la promotion et de la défense des intérêts des Canadiens français, a fait une brillante carrière au cœur des institutions parlementaires britanniques implantées au Bas-Canada. Il a notamment lutté aux côtés de concitoyens anglophones pour l'obtention du gouvernement responsable, c'est-à-dire d'une véritable démocratie comme elle se pratiquait en Angleterre. Chez Papineau, cette fusion d'éléments culturels issus des tradition sfrançaises et britanniques se retrouve également dans la maison qu'il a modifiée et habitée à Montréal. Cet amalgame est l'un des traits dominants de la restauration fidèle de la maison Papineau effectuée dans les années 1960.

 

L'une des plus belles maisons de Montréal

La façade de la maison Papineau. Photo prise après les travaux de restauration, vers 1978

La maison Papineau se situe presque à l'angle des rues de Bonsecours et Notre-Dame. Telle que restaurée, elle apparaît comme une construction rectangulaire à deux étages carrés sous un toit à deux versants percé de nombreuses lucarnes. Les demeures qui l'avoisinent comptent plusieurs étages carrés sous un toit plat, formant un cadre architectural qui singularisec et édifice historique.

La maison Papineau impressionne par la surabondance de lucarnes et par sa façade en faux-appareil - du bois imitant la pierre de taille! Le fenêtrage est curieux : à l'extrême droite se trouve la porte d'entrée; à l'extrême gauche, un large passage cocher qui mène à une cour intérieure où l'on découvre l'aile des cuisines en pierre. Celles-ci rejoignent la maison par des passages superposés de moindre largeur. Au temps de Papineau, l'espace était cerné par diverses dépendances : glacière, remise à bois, remise à voitures, écurie, poulailler, etc. Aujourd'hui, on y trouve principalement un petit jardin régulier. Depuis les années 1960, à la suite d'une importante restauration, le volume de la demeure est départagé en trois appartements.

Plan de l'étage noble de la maison Papineau

Dominant le rez-de-chaussée, le bel étage révèle tout l'effort consenti par Papineau quand il a entrepris de grands travaux de rénovation de sa maison en 1831-1832. Le petit salon, la salle à manger et la chambre sont des pièces au décor soigné de hauteur identique. Le grand salon surprend par sa hauteur beaucoup plus marquée, l'importance de sa corniche en plâtre et le volume de sa rosace. On sent que Papineau a voulu y créer un espace aux proportions justes et raffinées, modifiant radicalement ce qui existait au préalable. Ce travail de rehaussement du plafond n'était certes pas une mince affaire, parce que le plafond d'origine était constitué d'une série de poutres trapézoïdales juxtaposées les unes aux autres, comme il était fréquent de le voir dans les maisons urbaines de la Nouvelle-France. Pour le reste, la menuiserie apparaît d'une exécution maîtrisée. Les embrasures de fenêtre sont boisées et dotées de volets; leur menuiserie est conçue pour accommoder des bancs qui épousent la forme évasée de celles-ci. Les panneaux sont agrémentés d'une fine moulure appliquée. Les coins supérieurs des chambranles de fenêtre du salon ont été ornées d'une tête de lion sculptée. Tout cela respire le néoclassicisme qui a présidé au remodelage de la demeure.

 

Un condensé de valeurs

Cette maison est le rappel concret de son statutde résidence familiale au moment où Louis-Joseph Papineau se trouvait sous lesfeux de la rampe en tant que figure charismatique du mouvement patriote. Elleest aussi le résultat de transformations perpétrées par l'homme politique, safemme et son beau-frère (Théophile Bruneau). Ces derniers avaient en mains unemaison issue de l'architecture vernaculaire urbaine de la Nouvelle-France,marquée par le classicisme anglais. Ils en ont fait un édifice à saveurnéoclassique superbement exprimée dans son intérieur et dans sa façade àfaux-appareil. L'enfilade des pièces du bel étage est un emprunt aux modalitésd'occupation à la française, tandis que la localisation excentrique de la ported'entrée est un emprunt à l'architecture anglaise, plus précisémentlondonienne, des maisons en rangée. Cette demeure respire déjà l'éclectisme queLouis-Joseph Papineau érigera en vertu lors de la construction de son manoirseigneurial, Monte-Bello.

 

La maison du plus grand parmi les siens

Le domicile de Louis-Joseph Papineau était un site familial depuis la moitié du XVIIIe siècle. Son grand-père avait acheté la propriétéen 1748 : à une maison en bois préexistante, il avait ajouté une aile des cuisines en pierre qui existe toujours. En 1779, il vendit son bien au major John Campbell, surintendant du Département des Affaires indiennes. Six ans plustard, ce dernier remplaça la maison en bois par une maison en pierre qu'il greffa à l'aile des cuisines. À compter de 1809, la propriété revint dans le giron des Papineau et Louis-Joseph en demeura propriétaire en titre de 1814 à 1871.

Quand, en 1831-1832, Louis-Joseph Papineau entreprend de transformer sa maison, ce qu'il a devant lui est une demeure qui garde des caractéristiques héritées du Régime français : toit pentu à lucarnes, murs coupe-feu, fenêtres à vantaux et multiples carreaux en verre dotées de contrevents, murs en moellons et planchers de poutres trapézoïdales. De plus, la demeure possède des cuisines excentriques à l'extérieur du carré, ce qui correspond à une préoccupation française du XVIIIe siècle d'éloigner les cuisines de la zone d'habitation proprement dite. En même temps, cette maison en pierre érigée par les soins de Campbell en 1785 incorpore un plan classique de pièces distribuées autour d'un vestibule central, une caractéristique du néopalladianisme. C'est justement à ce chapitre que Papineau va intervenir le plus significativement.

Julie Bruneau Papineau, 1872

Lors des transformations de 1831-1832, sa femme, Julie Bruneau, exprima le souhait d'avoir une maison ayant un étage carré supplémentaire pour accueillir la visite. Papineau pensa que de belles chambres sous le toit feraient en sorte que « bon cœur et bon lit [qui] sont toujours bon gîte » seraient préférables à l'effet de prestige d'un étage supplémentaire. Il décida donc d'allonger la maison vers la gauche, jusqu'à la clôture en pierre de la propriété, tout en gardant libre un espace de circulation vers la cour arrière (le passage cocher). Sa femme, aidée de son frère Théophile Bruneau, proposa la création de la façade à parement en bois à faux-appareil; Papineau se rendit à ce souhait. Par cette solution, on voulait dissimuler la disparité des matériaux : la pierre du carré de la demeure et labrique de l'allongement.

Le déplacement de la porte centrale originelle vers l'extrême droite de la demeure permettrait aux domestiques de se déplacer plus commodément des cuisines à la porte d'entrée désormais alignée sur cette aile. Cet arrangement spatial démontre également l'adoption d'une mode, celle de la maison londonienne, caractérisée par la localisation latérale du vestibule d'entrée, siège d'un important escalier reliant les divers étages de ces demeures souvent étroites. Ce type de maisons en rangée avait marqué l'architecture domestique lors de la reconstruction de la ville de Londres après le grand incendie de 1666. Le genre existait sur le continent européen, notamment à Paris, dans la première moitié du XVIIe siècle. Or, la maison londonienne ne permettait pas l'accès aux dépendances de l'arrière depuis la rue frontale. Une ruelle tracée entre deux rangées de maisons adossées l'une à l'autre autorisait cet accès. Le parcellaire français des propriétés du Montréal ancien, dont celles de la rue de Bonsecours, obligeait le recours, faute de ruelles, à une solution déjà présente en Nouvelle-France, soit le passage cocher. On le retrouve à l'autre bout de la maison Papineau.

La demeure qui résulte de toutes ces transformations est un bel amalgame d'époques et de styles. La maison Papineau, rue de Bonsecours, exprime en effet le goût, les habitudes et la culture de Louis-Joseph Papineau alors qu'il était au faîte de sa carrière politique, à la veille du mouvement révolutionnaire de 1837.

 

Une période de transformation et d'oubli

Interprétation de la maison Papineau par R. C. Lyman

La maison Papineau est un symbole du mouvement réformiste visant la conquête du gouvernement responsable, à l'encontre d'un exécutif nommé par un gouverneur tout puissant mis en place par le pouvoir colonial anglais. Devant les refus du gouvernement anglais, Papineau en vint à proposer l'établissement d'une république bas-canadienne. Julie Bruneau rassemblait chez elle des femmes susceptibles de partager et de promouvoir la cause patriote. C'est ce symbole, la maison du patriote, que les loyalistes attaquèrent en 1834, martelant la façade encore neuve à coups de pierres, de bâtons et de haches, saccageant les fenêtres du rez-de-chaussée. Le même scénario se répéta en novembre 1837, alors que Louis-Joseph Papineau demeurait seul dans sa maison avec son fils aîné. Papineau avait fait démolir les voûtes du rez-de-chaussée pour y loger plus confortablement son bureau d'avocat et sa bibliothèque. Fort heureusement, cette bibliothèque échappa de justesse à la vindicte destructrice des manifestants loyalistes.

En 1837, Louis-Joseph Papineau quitta ses Canadiens pour un exil de huit ans. Revenu d'Europe, il habita sa maison de 1846 à 1850. Son départ définitif pour le manoir de Monte-Bello, fraîchement construit, est souligné par un manteau de cheminée peint façon faux-marbre qui trône dans le salon de la maison de Montréal. Il y remplace celui, en marbre véritable, que le tribun apportait avec lui dans son nouveau manoir. Il emportait aussi les corniches en forme d'arc qui avaient fait les belles années des fenêtres du salon de la rue de Bonsecours.

La location à des fins commerciales, qui avait été le sort de la maison pendant quelques années durant l'exil de Papineau, reprit de plus belle à compter de 1853 jusqu'aux années 1960. Une série d'entreprises hôtelières, notamment, s'y établirent. Pour accommoder ces nouveaux locataires, le toit initial fit place, entre 1875 et 1885, à deux étages carrés en brique sous un toit plat. Par la suite, la qualité des occupants devint aléatoire et variée : restaurants, buanderie, salon de coiffure. Avec le XXe siècle, une entreprise d'alimentation en poissons s'y établit et couvrit également la cour d'un toit plat, transformant celle-ci en entrepôt. Le reste de l'édifice devint une auberge pour démunis. La noble façade fut balafrée par une échelle et un escalier d'urgence en métal.

 

La construction d'une identité patrimoniale

L'Hôtel Empire en 1885

La maison Papineau fut représentée dans le journal montréalais Daily Star en 1885. Elle portait alors le nom d'Hôtel Empire, un édifice comptant désormais quatre étages carrés, dont les deux du haut étaient en brique. Vers 1930, Georges Delfosse peignit une toile où il s'attacha à retrouver la forme ancienne du bâtiment transformé qu'il avait sous les yeux. Curieusement, Delfosse fait abstraction du parement en bois imitant la pierre de taille, il conserve le principe des pierres rayonnantes au sommet de la porte et du passage cocher, mais illustre le reste de la façade comme si elle était crépie et que les baies de fenêtre possédaient des cadres en pierre. La maison renoue avec son toit à deux versants et à quatre lucarnes basses. Cette version de la maison Papineau redonnait à l'édifice une noblesse patrimoniale inspirée de la maison vernaculaire du XVIIIe siècle « canadien ». La patrimonialisation du personnage de Louis-Joseph Papineau existait déjà : outre les divers portraits faits de son vivant, peintures, gravures ou photographies, la littérature célébrait le grand homme. Au théâtre, Louis Fréchette avait reçu un vibrant accueil à la présentation du drame « Papineau », en 1880. La Commissiondes lieux et monuments historiques du Canada allait d'ailleurs désigner Louis-Joseph Papineau à titre de personnage d'importance historique nationale dès 1937.

Si l'homme jouissait déjà d'un statut patrimonial, il fallut attendre les années 1960 pour que sa maison fasse enfin l'objet d'une reconnaissance officielle. La maison Papineau fut classée par le ministère des Affaires culturelles du Québec en 1965. En 1968, ce fut au tourde la Commission des lieux et monuments historiques du Canada de recommander la reconnaissance de son importance historique nationale. Achetée en 1982 par le gouvernement fédéral, par le biais du ministère de l'Environnement, la maison Papineau reçut le statut d'édifice classé par le Bureau d'examen des édifices fédéraux du patrimoine (BEÉFP). Par ailleurs, la maison Papineau est située dans l'Arrondissement historique de Montréal (Vieux-Montréal) reconnu depuis 1964 par le gouvernement du Québec. Elle est en outre intégrée dans un secteur de valeur exceptionnelle (Vieux-Montréal) identifié par la Ville de Montréal. Elle porte, en façade, une plaque apposée par la Commission des monuments et lieux historiques du Québec.

Le salon mis en place par Louis-Joseph Papineau

La palme de tout ce processus de patrimonialisation revient pourtant à au journaliste montréalais Éric McLean et à l'effort considérable qu'il a consenti pour protéger et mettre en valeur la maison telle que l'avait voulue Louis-Joseph Papineau. Il se livra à des recherches sur la maison qu'il venait d'acquérir, profita de l'expertise de Jean Palardy, mit la main sur des dessins anciens. À l'intérieur, il conserva les vestiges de l'époque Papineau qui suffisent, dans le vestibule et l'étage noble, à commémorer celui qui fut le plus grand parmi les siens.

La maison de Louis-Joseph Papineau es tl'émanation concrète de la culture architecturale de ce dernier, nourri d'un mélange éclectique d'influences françaises et anglaises. Elle témoigne de la trajectoire politique, pour lors à son zénith, du personnage historique. Elle rappelle un moment capital de l'histoire nationale à travers la recherche de la responsabilité ministérielle, la volonté d'émancipation et les oppositions armées de 1837-1838. Elle reste toujours le symbole de la transformation et de la dégradation du Vieux-Montréal, jusqu'à sa renaissance au milieu du XXe siècle.

 

 

Yvan Fortier
Ethno-historien
Parcs Canada, Centre de services de Québec

 

 

Bibliographie

Chénier, Rémi, Johanne Lachance et Normand Lafrenière, Montréal, une ville d'histoire : guide des lieux, des personnes et des événements d'importance historique nationale sur l'île de Montréal, Québec, Parcs Canada, 2004, p. 47.

Fortier, Yvan, avec la collab. de Michel Bédard et André Sévigny, La maison de Louis-Joseph Papineau, Montréal, Bureau d'évaluation des édifices fédéraux du patrimoine, no 90-25, Québec, Parcs Canada, 1990, 83 p.

Fortier, Yvan, et al., Énoncé d'intégrité commémorative : lieu historique national du Canada Louis-Joseph-Papineau, Montréal, Québec, Parcs Canada, Unité de gestion de l'Ouest du Québec, 2004, 28 p.

La Rivière, Monica, « Maison Papineau, Montréal, 440, rue Bonsecours », dans Québec, Commission des biens culturels, Les chemins de la mémoire, t. II : Monuments et sites historiques du Québec, Québec, Publications du Québec, 1991, p. 34-35.

Maitland, Leslie, L'architecture néo-classique au Canada, Ottawa, Parcs Canada, 1984, 149 p.

Pinard, Guy, « La maison Louis-Joseph-Papineau », Montréal, son histoire, son architecture, Montréal, La Presse, vol. 1, 1987, p. 123-128.

 

 

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