Robert La Palme et la caricature au Québec
par Turgeon, Alexandre
Le nez de Maurice Duplessis. Telle était la signature de Robert La Palme, célèbre caricaturiste. Sous sa plume acide, le nez de celui qui fut premier ministre de la province de Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959 prendra toutes les formes et les allures possibles et imaginables. Ce portrait qu’il fait du Chef a traversé le temps, sorte d’image d’Épinal du Québec des années d’après-guerre. Or Robert La Palme ne fut pas qu’antiduplessiste. De 1963 à 1988, il fut l’instigateur du Salon international de la caricature qui se tient à Montréal, dont le mandat est d’assurer le rayonnement de la caricature. L’œuvre et l’engagement de Robert La Palme ont ainsi laissé une trace tangible dans le paysage culturel québécois.
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Robert La Palme : son œuvre et sa contribution
De 1943 à 1959, Robert La Palme œuvre auprès des journaux Le Canada (libéral), Le Devoir et Vrai (indépendants) dans lesquels il se déchaîne contre Maurice Duplessis, lui qui redevient premier ministre de la province de Québec le 8 août 1944. Durant cette période, La Palme consacre près de 2000 caricatures à son sujet de prédilection. Son œuvre est une véritable pièce de théâtre où la société canadienne-française s’anime, prend vie, et ce, au rythme de cette période désignée sous le nom de Grande Noirceur qui se déploie dans son œuvre.
Prenant sa retraite en tant que caricaturiste actif au tournant des années 1960, alors que la Révolution tranquille bat son plein au Québec, Robert La Palme ne cesse toutefois de s’engager dans sa communauté. Il fonde en 1963 le Salon de la caricature, lequel devient le Salon international de la caricature cinq ans plus tard (NOTE 1). Durant 25 ans, Montréal est capitale de la caricature alors qu’elle attire à elle des artistes du monde entier. De plus, le Salon contribue également aux activités des artistes locaux alors qu’il constitue une plateforme de choix pour les caricaturistes québécois voulant présenter leurs travaux. Cependant, faute de financement, les activités du Salon sont interrompues en 1988.
Robert La Palme s’éteint le 19 juin 1997, à Longueuil. Le caricaturiste Serge Chapleau lui rend alors un hommage vibrant : « Il est mort de rire » (NOTE 2). Aujourd’hui encore, Robert La Palme reste, par son œuvre comme par son engagement, un modèle à suivre pour les caricaturistes, non seulement du Québec, mais de partout dans le monde (NOTE 3).
La caricature de Robert La Palme
Encore à ses débuts, l’œuvre du caricaturiste capte néanmoins très vite l’œil de la critique, et ce, dans le monde entier (NOTE 4). Dès les années 1940, ses peintures traversent les océans et sont exposées dans des galeries de Rome, Paris et Rio de Janeiro, où elles sont fort bien reçues. Divers recueils contenant un certain nombre de ses caricatures paraîtront au fil des années, que ce soit du temps qu’il était un caricaturiste actif (NOTE 5) ou après qu’il se soit retiré (NOTE 6).
Durant les années 1960, Robert La Palme continue de s’imposer comme une figure d’autorité dans le domaine de l’humour visuel. Il est dès 1963 le président fondateur du Salon de la caricature, un événement qui se veut une occasion privilégiée pour les artistes d’ici et d’ailleurs, y compris La Palme, d’exposer leur talent au grand jour, et de tisser des liens avec les milieux artistiques du monde entier. En 1967, lors de l’exposition universelle de Montréal, La Palme occupe également la fonction de directeur du Pavillon de l’Humour, lequel est une refonte ambitieuse du Salon dans le cadre d’Expo 67. Ce Pavillon « abrite une collection permanente, des expositions temporaires, une salle de projection. Des marionnettes de Java côtoient dans un joyeux méli-mélo des statuettes primitives, des masques grecs, des sculptures mobiles, des photos insolites, des cartons originaux des grands maîtres de la BD » (NOTE 7). Dans les années qui suivent l’Expo, jusqu’à l’abandon du bâtiment dans les années 80, le Pavillon, situé sur l’Île Sainte-Hélène, continue à accueillir annuellement des artistes du monde entier, mais dans les mesures toutefois plus modestes du Salon de la caricature, désormais international.
Par ailleurs, depuis que La Palme a pris sa retraite en tant que caricaturiste actif au début des années 1960, ses caricatures continuent d’être fréquemment exposées dans divers musées de la province de Québec. Les expositions qui les sollicitent sont le plus souvent dédiées à son œuvre, ou portent plus spécifiquement sur le personnage de Maurice Duplessis, telles les expositions « Les grands génies ne meurent pas », laquelle est consacrée à La Palme en l’honneur de ce qui aurait été le 100e anniversaire de sa naissance, qui s’est tenue du 2 au 10 avril 2008 à l’hôtel de ville de Montréal et l’exposition « Portrait de Duplessis » qui se tient au Centre d’exposition des pâtes et papiers de Trois-Rivières en 2003. Lors des années 1980 et 1990, six manuels scolaires d’histoire ont recours à au moins une caricature de La Palme lorsque vient le temps de traiter des années d’après-guerre au Québec.
De récents travaux, de la part de Dominic Hardy (NOTE 8), Robert Aird et Mira Falardeau (NOTE 9) en particulier, mettent de l’avant la contribution importante et significative de La Palme au monde de la caricature, lui qui en fut un véritable pionnier, ainsi qu’au domaine de l’art, et ce, tout au long du XXe siècle. Selon Aird et Falardeau, Robert La Palme aurait en effet travaillé, de pair avec son acolyte Normand Hudon, à ce que le monde de l’art et celui de la caricature se rapprochent (NOTE 10).
Utilisation et instrumentalisation de l’œuvre de Robert La Palme
Quelques années avant son décès, Robert La Palme charge l’un de ses bons amis, Me Jean-Pierre Pilon, d’une mission teintée de l’engagement qui l’habitait du temps où il s’occupait du Salon international de la caricature : « celle de poursuivre son œuvre par l’entremise d’une fondation portant son nom. Les objectifs de cette Fondation sont de protéger son œuvre, de la faire connaître, d’administrer des services pour la protection et l’avancement du statut social des artistes qui ont choisi de s’exprimer dans le domaine de la caricature » (NOTE 11). Ainsi, la Fondation Robert La Palme cherche-t-elle à remplir deux objectifs : assurer la pérennité de l’œuvre de La Palme et promouvoir les caricaturistes présents et à venir. Le tout dans l’esprit de mettre de l’avant cette forme d’art qu’est la caricature.
Que retient-on aujourd’hui de La Palme? Et comment l’utilise-t-on? Au sein des manuels scolaires d’histoire, les caricatures de Robert La Palme sont clairement utilisées afin d’illustrer les années d’après-guerre. Ce faisant, ses caricatures cessent d’être des pamphlets critiques, satiriques et mordants, qui croquent sur le vif Maurice Duplessis et son gouvernement, pour devenir des sortes de photographies qui rendraient compte, réellement, de la réalité d’alors. Comme dans la question « La caricature ci-contre de Robert La Palme paraît dans Le Devoir des années 1950. Quel aspect du gouvernement Duplessis met-elle en évidence? » (NOTE 12).
En effet, une adéquation semble s’effectuer entre les caricatures de Robert La Palme, d’une part, et la réalité de l’époque, d’autre part. Quelques caricatures en particulier sont devenues de véritables images d’Épinal du Québec des années d’après-guerre, revenant régulièrement dans différents ouvrages. Certaines de ces caricatures accompagnent d’ailleurs cet article. Cette adéquation nourrit et s’alimente tout à la fois au mythe de la Grande Noirceur, lequel a été prépondérant dans la société québécoise même s’il tend de plus en plus à être nuancé. De portrait, l’œuvre de Laplame a ainsi été récemment mise en valeur plutôt en tant que témoignage, une instrumentalisation qui atteste ultimement de son importance dans les représentations actuelles de l’histoire récente du Québec.
C’est dans cet esprit qu’un certain nombre d’auteurs (NOTE 13) considèrent que les caricatures de Robert La Palme – par leur force, par leur violence, par leur critique acerbe du « régime duplessiste » – annoncent les grands changements de la Révolution tranquille. Pour Jean-François Nadeau et Guy Robert (NOTE 14), La Palme serait même l’un des artisans de la Révolution tranquille. Or il s’agit là d’une lecture a posteriori des évènements, alors que la caricature de La Palme est considérée à l’aune du prisme de la Révolution tranquille. En fait, Robert La Palme contribue plutôt à baliser l’espace du pensable concernant Maurice Duplessis et l’époque, et ce, dès les années 1940 (NOTE 15). Ce faisant, le caricaturiste n’a peut-être pas autant participé à sortir le Québec de la Grande Noirceur, qu’à figer les années d’après-guerre dans une Grande Noirceur dont il devient difficile de les détacher.
Alors que les recherches foisonnent sur le Québec de l’après-guerre, que ce soit en histoire, histoire de l’art, sociologie, sciences politiques, etc, et que les mythes sont de plus en plus remis en question, en particulier celui de la Grande Noirceur, l’intérêt pour l’œuvre du caricaturiste Robert La Palme n’en est que plus grand. Cette œuvre monumentale a certes cessé d’accompagner la société québécoise sur une base quotidienne, dans les pages de nos journaux. Mais elle demeure bien vivante dans nos mémoires, où elle a élu domicile.
Alexandre Turgeon
Étudiant au doctorat en histoire
Université Laval
NOTES
1. Jean-François Nadeau, La Palme : la caricature et autres sujets sérieux, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1997, p. 147.
2. Voir Alain Stanké, Motobiographie ou Le joyeux testament de La Palme : entretiens avec Alain Stanké; suivi de Ma vie de chien avec Lambert Closse : une fantaisie historique de Robert La Palme, Montréal, Stanké, 1997, p. 27.
3. Alexandre Turgeon, Le nez de Maurice Duplessis. Le Québec des années 1940 tel que vu, représenté et raconté par Robert La Palme : analyse d’un système figuratif, mémoire de maîtrise, Université Laval, Québec, 2009, f. 29, 39.
4. Voir Dominic Hardy, A Metropolitan Line. Robert LaPalme (1908-1997) : Caricature and Power in the Age of Duplessis (1936-1959), thèse de doctorat, Concordia University, Montréal, 2006, 524 f.
5. La Palme : les 20 premières années du caricaturiste canadien / The First Twenty Years of the Canadian Caricaturist, Montréal, Cercle du livre de France, 1950, 189 p.
6. La Palme, Norris, catalogue d'exposition, Ottawa, Musée canadien de la caricature, 1990, 101 p.
7. Robert Aird et Mira Falardeau, Histoire de la caricature au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2009, p. 130.
8. Dominic Hardy, op. cit.
9. Robert Aird et Mira Falardeau, op. cit., p. 118-138 en particulier.
10. Ibid., p. 118.
11. Jean-Pierre Pilon, « “L’aimable contemplation des incongruités de la vie…” ou l’homme qui voudrait bien aller au Ciel, mais ne tenait aucunement à mourir », dans Alain Stanké, op. cit., p. 11.
12. Raymond Bédard, Jean-François Cardin et René Fortin, Une histoire à suivre : 4e secondaire, Laval (Qc), Éditions HRW, 1993, p. 133; id., Une histoire à suivre : histoire du Québec et du Canada, 4e secondaire, 2e éd., Laval (Qc), Éditions HRW, 1998, p. 133.
13. Robert Aird et Mira Falardeau, op. cit., p. 127-128, 242.
14. Jean-François Nadeau, op. cit., p. 16.
15. Alexandre Turgeon, op. cit., p. 110-115.
BIBLIOGRAPHIE
Aird, Robert, et Mira Falardeau, Histoire de la caricature au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2009, 258 p.
Bédard, Raymond, Jean-François Cardin et René Fortin, Une histoire à suivre : 4e secondaire, Laval (Qc), Éditions HRW, 1993, 155 p.
Bédard, Raymond, Jean-François Cardin et René Fortin, Une histoire à suivre : histoire du Québec et du Canada, 4e secondaire, 2e éd., Laval (Qc), Éditions HRW, 1998, 155 p.
Hardy, Dominic, A Metropolitan Line. Robert LaPalme (1908-1997) : Caricature and Power in the Age of Duplessis (1936-1959), thèse de doctorat, Concordia University, Montréal, 2006, 524 f.
Hustak, Alan, « LaPalme, Robert », L'encyclopédie canadienne [en ligne], http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0011503, consulté le 14 juillet 2008.
La Palme : les 20 premières années du caricaturiste canadien / The First Twenty Years of the Canadian Caricaturist, Montréal, Cercle du livre de France, 1950, 189 p.
La Palme, Norris, catalogue d'exposition, Ottawa, Musée canadien de la caricature, 1990, 101 p.
Nadeau, Jean-François, La Palme : la caricature et autres sujets sérieux, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1997, 159 p.
Stanké, Alain, Motobiographie ou Le joyeux testament de La Palme : entretiens avec Alain Stanké; suivi de Ma vie de chien avec Lambert Closse : une fantaisie historique de Robert La Palme, Montréal, Stanké, 1997, 210 p.
Turgeon, Alexandre, Le nez de Maurice Duplessis. Le Québec des années 1940 tel que vu, représenté et raconté par Robert La Palme : analyse d’un système figuratif, mémoire de maîtrise, Université Laval, Québec, 2009, 445 f.
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Ailleurs sur le web
- Entrevue de Robert La Palme avec Guy Boucher à l’émission Jeunesse oblige à la Société Radio-Canada, le 22 mars 1968. « Lapalme, caricaturiste-né », Les Archives Radio-Canada, Société Radio-Canada
- Entrevue de Robert La Palme avec Sheridan Nelson à l’émission Today From… à la Canadian Broadcasting Company, le 27 novembre 1979. « Drawing Duplessis », The CBC Digital Archives Website, Canadian Broadcasting Company