Patrimoine de la Nouvelle-France à Rochefort

par Sauzeau, Thierry

Vue aérienne du magasin aux Vivres de la Marine

Ville nouvelle du XVIIe siècle, Rochefort fut fondée en 1666 par Louis XIV pour offrir à la Marine un arsenal au débouché du fleuve Charente. Cette fondation répondait aussi à la nécessité de se doter d’une plateforme d’expansion coloniale vers la Nouvelle-France. Frappé d’obsolescence au XIXe siècle, l’arsenal vécut au siècle suivant un déclassement qui l’a mis à l’abri des destructions. Son patrimoine bâti d’exception supporte depuis un quart de siècle le renouveau de la ville. Rochefort mise aujourd’hui sur son passé pour faire face, grâce au tourisme et à la culture, aux rudes mutations économiques qui ne cessent de l’affecter.


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Un riche patrimoine

La ville de Rochefort s’organise encore aujourd’hui autour d’un centre historique à l’urbanisme directement hérité des XVIIe et XVIIIe siècles. Son site s’appuie sur la rive extérieure d’un des ultimes méandres du fleuve. Son dense patrimoine bâti abrite des institutions ou des organismes eux-mêmes dépositaires de pans entiers de la mémoire de la ville et de ses liens avec l’outre mer.

L’hôtel de Cheusses, demeure seigneuriale qui préexistait à la ville royale, abrite le Musée national de la Marine. Il est intégré au vaste enclos de l’arsenal, qui a conservé nombre de ses constructions d’origine (1671). On y trouve la Halle aux Vivres, propriété de la ville, dont les bâtiments sont désaffectés et font débat quant à leur requalification : résidence, centre de services, casino, etc. La Corderie Royale abrite d’une part le Centre International de la Mer (1985), organisme associatif dédié à l’ingénierie d’expositions, sa librairie spécialisée et son vaste espace muséal, et d’autre part la médiathèque, qui conserve le 3e fonds ancien de la région Poitou-Charentes. Enfin, dans l’une des formes de radoub, on a entrepris la reconstruction de la frégate l’Hermione (1997).

L'Hôtel de Cheusses

En dehors de l’enclos, la ville conserve le plan orthogonal d’un lotissement urbain de l’époque classique, entouré de remparts peu développés et en partie conservés. Autour de la place centrale, récemment réhabilitée dans le style XVIIIe siècle, la forme et la taille des îlots d’habitation distingue un quartier nord qui était, et reste, plus bourgeois et un quartier sud plus populaire. Rochefort conserve plusieurs hôtels particuliers de grande qualité, demeures de négociants et marins, tels l’hôtel Hèbre de Saint Clément, aujourd’hui Musée d’Art et d’Histoire. La ville est encore riche de bâtiments industriels et de services, tels les Fonderies Royales, les deux Hôpitaux de la Marine et l’ancienne Ecole de Médecine Navale, dont on visite les collections ainsi que la bibliothèque. Elle recèle enfin quantité de casernes de la fin du XIXe siècle. Celle de la rue du Port abrite les fonds du Service Historique de la Défense, et beaucoup d’autres ont été converties en logements collectifs, notamment dans le quartier des thermes, près du rempart nord.


Une ville tournée vers les colonies

Le patrimoine rochefortais se distingue par sa richesse et sa diversité. Les différents éléments bâtis qui le composent sont intimement liés à l’histoire maritime et coloniale du pays. Le lien entre la fondation de Rochefort (1666) et la reprise par la couronne de la colonie canadienne (1663) apparaît évident. Implantée sur un terroir peu hospitalier, entourée de marais, la ville issue du volontarisme royal a longtemps conservé une image coloniale, comme si, passé ses murs, le voyageur avait déjà franchi l’océan. Outre l’argument de la sécurité face aux Anglais, l’estuaire mettait les ressources d’un vaste arrière pays au service des approvisionnements de la flotte et des colonies. Le port de Tonnay-Charente, à quelques encablures en amont de Rochefort, stockait depuis le Moyen Âge les vins de Cognac (distillés en eau-de-vie essentiellement à partir du XVIIe siècle), les bois du Limousin, les fers d’Angoulême, ainsi que les grains de la vallée. À côté de La Rochelle, place marchande tournée vers la Nouvelle France, Rochefort s’est d’emblée imposé comme l’instrument de la politique coloniale du royaume de Louis XIV.

L'arsenal de Rcohefort en 1690

Situé au cœur d’un littoral densément peuplé, le port sut mobiliser à son profit les gens de mer, peut-être 2000 à 3000 hommes à l’époque, afin de pourvoir en hommes ses équipages. Dès 1666, un véritable « service public » d’approvisionnement est mis en place, avec l’envoi d’un à quatre « vaisseaux du Roi » vers La Nouvelle-France. En tenant compte des missions vers les « Isles à Sucre » ou de la surveillance des bancs de pêche de Terre Neuve, Rochefort consacrait aux colonies une part considérable de ses armements : environ le quart en temps de guerre, la totalité en temps de paix.

On se souviendra aussi que c’est à Rochefort que fut armée l’expédition de « la Belle » avec Cavelier de la Salle vers la Louisiane (1684), que ses quais ont vu passer leur lot de migrants à destination de la Nouvelle-France et que la ville fut la base arrière de la construction de Louisbourg après que le traité d’Utrecht n’ait laissé que les îles Royale et Saint Jean sous souveraineté française en Acadie. Port de guerre tourné vers la logistique, Rochefort a valorisé les productions de la Nouvelle France (chanvre, goudron, bois, fer) et même participé à l’industrialisation précoce du Canada (forges de la Saint Maurice). L’ensemble de ses bâtiments publics à vocation industrielle ou sanitaire furent au cœur de ces échanges transatlantiques.

En l’absence de dégradations irréversibles, ces bâtiments ont été patrimonialisés. Les travaux de rénovation, quoique coûteux, ont facilement restitué l’authenticité du bâti. Ce processus doit beaucoup au faible renouvèlement de la ville sur elle-même aux XIXe et XXe siècles. L’industrialisation a pu investir les espaces laissés libres dans l’arsenal au temps de la marine à voile. Par ailleurs, Rochefort était déjà une ville industrielle avant le XIXe siècle : elle comptait 20 000 habitants en 1700, logés intra-muros et dans le faubourg Notre-Dame, route de La Rochelle. L’expansion des faubourgs à l’époque contemporaine a permis de préserver la vieille ville.

Plan de Rochefort, 1764

Une bonne partie de la documentation traitant de ces évolutions urbaines, tout comme des échanges matériels et humains entre la France et l’Amérique du nord, est d’ailleurs conservée au Service Historique de la Défense, dans les correspondances des intendants de la Marine avec la Cour. Les dépêches reçues à Rochefort entre 1690 et 1763 et traitant de la Nouvelle France révèlent l’implication des élites administratives et militaires dans la mise en valeur des colonies, dont celles de l’Acadie et du Canada. Outre les missions de l’ordre du service public, on voit les administrateurs et leurs familles, s’attacher à investir leurs propres deniers outre mer, et participer à l’effort de mise en valeur du territoire canadien. La dynastie des Bégon illustre parfaitement cette solidarité de destin entre Rochefort et le Canada. Michel I (1638-1710), cousin de Colbert, fut intendant de Marine à Rochefort (1688-1710) où il fit bâtir des hôpitaux et paver les rues, contrôlant l’urbanisme en dépit des guerres qui faisaient rage contre les Anglais. Son fils Michel II (1667-1747) devint quant à lui intendant de Nouvelle France (1710-1726) où il mit beaucoup d’énergie à développer le commerce et l’industrie, y compris sur ses propres deniers. A l’instar de La Rochelle, Rochefort gagna aussi au XVIIIe siècle un statut de « porte du Nouveau Monde ». Bâtie en 1679, la première église Saint Louis a abrité les baptêmes de nombreux migrants. Incluse au mur d’enceinte de l’arsenal, elle est devenue la Tour des Signaux – en fait un sémaphore – mais reste signalée par une plaque. L’inventaire des lieux de mémoire franco-québécois Sur les traces de la Nouvelle France est parvenu à tirer de l’oubli la foule de ces artisans de la présence francophone en Amérique, célèbres ou plus obscurs.


La seconde vie d’une ville maritime : mémoire et patrimoine

La Corderie royale, aile donnant sur les jardins du retour

Si Rochefort dispose encore aujourd’hui d’une telle richesse patrimoniale, c’est principalement grâce aux efforts de mise en valeur déployés dans les dernières décennies. Avec son arsenal fermé en 1926 et sa Corderie incendiée par l’occupant en 1944, Rochefort a vécu jusque dans les années 1970 dans l’oubli de son passé maritime. À la manière des grandes villes industrielles et portuaires du monde occidental, la cité charentaise avait tourné le dos à son fleuve, la priorité allant au maintien de la présence militaire, avec ses emplois induits dans l’aéronautique, et au soutien à l’activité du port marchand, tourné vers l’importation de bois destiné aux usines de contreplaqués. Deux chocs pétroliers eurent raison de cette stratégie.

Le bassin supérieur de la forme double, dite aussi « Louis XV », forme de raboub conçue au XVIIe siecle

Dans les années 1980, les priorités nationales données à la culture et à la décentralisation ont offert aux Rochefortais les leviers d’une reconversion. La reconstruction de la Corderie Royale a été le point de départ de grands chantiers, au sein de l’arsenal, dans et hors de la vieille ville. Les formes de radoub, envasées depuis des lustres, ont été nettoyées. Le champ de foire a été ensuite excavé afin d’y exhumer l’ancien Quai aux Vivres et d’aménager un port de plaisance dans son prolongement. Renouant avec son fleuve, Rochefort a accolé « sur mer » à son nom. Les jardins de la Marine ont aussi fait peau neuve tandis que l’on aménageait le Jardin des Retours, autour de la Corderie.

Si les rives de la Charente ont été restaurées, la ville intramuros n’a pas été en reste. À compter des années 1990, les voies pavées, jusqu’alors limitées à la rue Courbet, se sont étendues à d’autres secteurs. En guise de rappel des explorations océaniques et des cabinets de curiosité des Lumières, on a vu ces artères s’orner de tulipiers de Virginie et de palmiers. Par ailleurs, des rues ont pris le nom d’explorateurs, à l’initiative de la ville ou sur demande d’associations. Le 4 juillet 1997, dans la forme de radoub Louis XV, l’association Hermione-La Fayette posait la quille de la frégate, symbole de l’aide apportée par la France aux Insurgés américains.

Le chantier ouvert à la visite a permis à Rochefort de hisser sa fréquentation touristique au niveau d’autres attractions grand public charentaises, comme l’aquarium de la Rochelle ou le Futuroscope de Poitiers. Il a également restitué au cœur de la cité le patrimoine immatériel de la construction navale de la grande époque. Dans son sillage, les institutions culturelles de la ville œuvrent de plus en plus en réseau. Les visites thématiques proposées par l’office du tourisme de Rochefort, ville d’Art et d’Histoire, invitent le public à renouer avec le temps des grandes explorations, des découvertes et des liens avec les nouveaux mondes. Elargie aux bornes du « pays rochefortais », cette préoccupation a donné naissance à de belles expositions pilotées par le Centre International de la Mer. On l’aura compris, Rochefort peut s’enorgueillir de plonger son visiteur dans l’atmosphère de l’ancienne France, tant l’aspect de la ville semble être tout droit sorti d’un xviiie siècle, idéalisé et pris pour modèle par les édiles depuis le début des années 1980. L’esprit du lieu, cher aux spécialistes du patrimoine, pourrait bien avoir été ressuscité.

 

Thierry Sauzeau


Maître de conférences d’histoire moderne, co-directeur de l’Institut d’Etudes Acadiennes et Québécoises

Université de Poitiers

 

 

BIBLIOGRAPHIE

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Thomas, Mélanie, Rochefort : un arsenal tourné vers les colonies du Nouveau Monde. Étude des engagés partis vers la Nouvelle-France, Cayenne et les Antilles (1705-1758), mémoire de master 1, Université de La Rochelle, La Rochelle, 2006.

Wimart, Stéphane, Rochefort et l’île Royale (1713-1744), mémoire de master 1, Université de Poitiers, Poitiers, 2006.

 

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