Vieux-Québec, arrondissement historique inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO
par Viau, Serge
L’arrondissement historique du Vieux-Québec a été inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1985. Les désignations de « berceau de la présence française en Amérique », « ville fortifiée » et « milieu toujours vivant » ont été principalement invoquées lors de cette décision. Chef-lieu de la Nouvelle-France, gouvernant un territoire s’étendant sur presque le tiers de l’Amérique du Nord, Québec a été le siège des principales institutions de gouvernance civile, judiciaire et religieuse sous le Régime français. Malgré les attaques, les batailles, les changements de régimes et les aléas de la vie économique, Québec a toujours su maintenir son rôle de capitale, conserver sa vitalité ou la rétablir en période plus difficile, préserver et mettre en valeur son patrimoine. Parce que ce patrimoine a été approprié par l’ensemble des citoyens de la ville, le Vieux-Québec est un bel exemple d’un milieu urbain patrimonial vivant qui continue de se construire.
Article available in English : Old Quebec, a UNESCO World Heritage site
De ville historique à ville patrimoniale
Sous le Régime français, Québec devient le chef-lieu de la Nouvelle-France qui a, à certains moments, occupé un vaste territoire s’étendant du Labrador jusqu’en Louisiane et de l’Atlantique jusqu’à l’ouest du Mississipi et de la baie d’Hudson. C’est ainsi que les francophones ont essaimé en Amérique du Nord et ont fondé plusieurs établissements et villes de ce continent. Après la Conquête de 1759, Québec est restée la capitale du Bas-Canada. Elle fut un temps capitale des Canadas-Unis et devint capitale du Québec, seule province du Canada dont la langue officielle est le français. Québec est ainsi considérée comme le berceau de la présence française en Amérique du Nord, un fait reconnu par l’UNESCO. De plus, les fortifications et la citadelle, construites selon les principes de l’ingénieur français Vauban, sont les seules fortifications aussi complètes encore debout en Amérique du Nord. Ce caractère unique lui procure une valeur universelle indéniable que l’UNESCO a reconnue en inscrivant le Vieux-Québec sur la Liste du patrimoine mondial (NOTE 1). Cette reconnaissance repose aussi sur un critère insistant sur le caractère vivant du lieu ou du bien inscrit sur la Liste (NOTE 2). Pour Québec, ce critère met en lumière le rôle passé et présent de celle-ci dans la conservation, voire la consolidation de l’identité française en Amérique du Nord. Il consacre le fait que l’arrondissement historique du Vieux-Québec, à la fois dans sa structure urbaine et dans sa vitalité actuelle, est demeuré un patrimoine vivant, en constante évolution, mais fidèle à ses origines et à sa nature fondamentale.
Édification et fortification de la ville
Après les tentatives d’établissement infructueuses de Jacques Cartier au XVIe siècle, Samuel de Champlain s’installe le 3 juillet 1608 au pied du Cap Diamant et y fait construire une habitation en bois entourée d’une palissade (NOTE 3).
Ce site fut choisi pour ses qualités géographiques stratégiques: le promontoire de Québec et le rétrécissement du fleuve à cet endroit offrent en effet d’excellentes qualités défensives (NOTE 4). À ce sujet, Champlain note : « je cherchay lieu propre pour nostre habitation, mais ie n’en peu trouuer de plus commode, ny de mieux situé que la pointe de Quebecq » (NOTE 5). C’est d’ailleurs en 1620 que Champlain fait ériger le premier fort Saint-Louis, sur les hauteurs du Cap Diamant, également entouré d’une palissade en bois. Entre 1620 et 1745, les ouvrages de défense, en bois, en terre et en maçonnerie, se multiplient tant sur le promontoire qu’en bordure du fleuve.
Un rempart ouest est érigé en 1693 par Josué Boisberthelot de Beaucours à la requête du gouverneur Louis de Buade, comte de Frontenac, pour prévenir toute attaque terrestre : deux vestiges de ce dernier ouvrage sont encore présents, soit la redoute du Cap-aux-Diamants à l’intérieur de la Citadelle et le lieu dit cavalier du Moulin au bout de la rue Mont-Carmel.
C’est en 1745 que s’amorce véritablement la construction des fortifications telles qu’on les connaît aujourd’hui, d’après une planification établie dès 1716 par l’ingénieur chef de Nouvelle-France Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry (NOTE 6). Le chantier est presque terminé lors du siège de Québec en 1759, la bataille ayant toutefois lieu à l’extérieur des fortifications, sur les plaines d’Abraham. Ce sont les Anglais, et particulièrement les ingénieurs William Twiss et Gother Mann qui complèteront les fortifications de la ville, ajoutant des portes, des ouvrages extérieurs et quatre tours Martello comme avant-postes (NOTE 7). Une citadelle temporaire sera érigée de 1806 à 1808, tandis que la citadelle permanente sera construite entre 1820 et 1831 selon les plans de l’ingénieur Elias Walker Durnford.
Entre pression de la modernité et protection patrimoniale
L’urbanisation de la ville s’accélérant, les pressions deviennent fortes pour qu’on démolisse les fortifications, à tout le moins celles du côté ouest. Cette entreprise débute en 1871 après le départ de la garnison britannique : les portes et certains ouvrages avancés sont détruits pour améliorer les accès à la vieille ville et récupérer certains terrains pour de nouvelles constructions. L’arrivée d’un nouveau gouverneur général, Lord Dufferin (NOTE 8), en 1872, marque un tournant majeur pour la conservation et la mise en valeur des fortifications de Québec. Épris de patrimoine militaire et tombant sous le charme de la ville de Québec, il propose d’aménager une promenade sur les fortifications et un parc de part et d’autre de celles-ci, de reconstruire les portes démolies afin d’élargir les accès, et d’agrandir la terrasse Durham (NOTE 9) jusqu’à la Citadelle (NOTE 10). Les propositions de Dufferin reçurent un appui général et enthousiaste.
Le gouvernement du Québec crée en 1928 la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec, avec des pouvoirs exceptionnels, pour mieux protéger le patrimoine architectural du Vieux-Québec, devenu un attrait touristique important et subissant d’importantes pressions de transformations. Les résultats furent intéressants à certains égards et mitigés à d’autres : démolitions nombreuses, architectures inappropriées, envahissement de l’automobile, etc. Des incendies (parfois criminels) créent en outre d’importants trous dans la trame urbaine. Plusieurs grandes institutions, dont l’Université Laval, quittent le Vieux-Québec. Le délabrement s’étend et des problèmes de sécurité se développent.
Il faut attendre les années 1960 pour que les autorités publiques interviennent de manière plus efficace (NOTE 11). En 1963, le gouvernement du Québec crée par décret l’arrondissement historique du Vieux-Québec, se lance dans la restauration de Place-Royale (1972) et y installera éventuellement le Musée de la civilisation (1985-1988). La Ville met en place un groupe de travail qui produit le Concept général de réaménagement du Vieux-Québec (1970) et réforme, sous la pression des citoyens, tout le zonage du secteur en restreignant les usages détériorant la vie de quartier (1978). Par l’entremise de plusieurs programmes, la Ville renforce la fonction résidentielle en favorisant sa permanence. Le gouvernement du Canada restaure les fortifications ainsi que le Parc de l’Artillerie (à partir de 1970) et réaménage le Vieux-Port (1979-1984) en le rendant plus accessible au public. L’aspect visuel du Vieux-Québec est substantiellement amélioré : rues et places publiques subissent des cures de rajeunissement, Hydro-Québec enfouit ses fils, tandis que l’affichage et la signalisation sont revus de fond en comble.
Tous ces investissements publics créent une nouvelle dynamique de mise en valeur du patrimoine et de revitalisation du Vieux-Québec. L’inscription sur la Liste du patrimoine mondial (1985) amplifie ces phénomènes. Les propriétaires résidentiels et commerciaux se mettent de la partie et restaurent leurs bâtiments grâce à de généreux programmes conjoints de subventions. Beaucoup d’immeubles sont recyclés en habitation; la population résidente augmente. Des rues commerciales sont revitalisées par la multiplication d’usages de toutes natures. Le Vieux-Port devient un port de croisières. Les fêtes, les festivals et les événements se multiplient et le Vieux-Québec s'illumine, s’anime, voire se réanime… parfois trop au goût de certains.
En définitive, depuis ses origines, le Vieux-Québec n’a cessé de se transformer, de s’adapter, de modifier son rôle dans la ville, de consolider ses usages, mais toujours dans le respect de sa trame ancienne, de ses caractères physiques et architecturaux et du confort de ses habitants. Il constitue une pièce maîtresse du centre-ville de Québec avec des fonctions institutionnelles, ludiques, commerciales et d’affaires et, surtout, un territoire toujours habité, un milieu de vie fragile, dont les résidents, amoureux de ce patrimoine, revendiquent le droit de le protéger et de le faire vivre. Ce sentiment est aussi partagé par l’ensemble des résidents de la ville : en conséquence, ce patrimoine a littéralement été approprié par tous.
Un patrimoine vivant en évolution
Une ville, un quartier, même historiques, ne sont ni figés dans le temps, ni monuments, ni musées. Ce sont des ensembles urbains qui subissent les mêmes pressions, les mêmes phénomènes de croissance et de décroissance. Ils sont constamment en changement et en évolution, et doivent s’adapter aux caractéristiques et aux exigences de la vie contemporaine. La conservation du patrimoine et surtout sa mise en valeur doivent donc être fondées sur des critères propres qui marient authenticité et adaptabilité, respect des principes universels et flexibilité, permanence et apport du contexte. Au fil du temps, l’arrondissement historique changera lui aussi de vocation, les bâtiments se transformeront, certains seront démolis, d’autres seront construits. On réaménagera les espaces publics, on y créera de nouvelles activités. Bref, on créera jusqu’à un certain point un nouveau patrimoine.
Au cours de ses quatre siècles d’existence, le Vieux-Québec a été le théâtre de toutes les expériences urbaines usuelles : vitalité, prestance, délabrement, dévitalisation, régénérescence, réhabilitation. Et cela se continue aujourd’hui. Ce quartier riche en histoire a connu plusieurs querelles de patrimoine : démolition et reconstruction des fortifications et de ses portes, tour du Château Frontenac, édifice Price, tour de l’Hôtel-Dieu, Place-Royale, Vieux-Port, etc. Malgré tout, grâce à l’implication et à la collaboration de plusieurs partenaires publics, ainsi qu’à la ténacité des résidents et des usagers, le patrimoine du Vieux-Québec est aujourd’hui en meilleur état qu’autrefois, et moins qu’il le sera demain. Il reste encore beaucoup à faire, même si les interventions de réhabilitation réalisées au cours des cinquante dernières années sont considérables.
Le Vieux-Québec aujourd’hui… et pour demain
L’architecture du Vieux-Québec est extrêmement variée. Les bâtiments originaux datant du Régime français sont somme toute assez peu nombreux, plusieurs ayant subi diverses altérations au fil des ans. L’image générale témoigne d’une influence victorienne dominante, puisque les années du Régime anglais furent marquées par une grande prospérité sur le plan des affaires. Depuis quelques années, les nouveaux bâtiments qui s’y insèrent indiquent une volonté de marquer leur temps. Plusieurs de ceux-ci constituent déjà à l’évidence le nouveau patrimoine, comme ce magnifique musée de la Civilisation ou, plus modestement, le gymnase du couvent des Ursulines. D’autres bâtiments, résidentiels ceux-là, sont aussi remarquables. De fait, les projets d’insertion sont d’autant réussis qu’ils adoptent une architecture qui s’intègre au contexte environnant sans le contredire et tout en manifestant des caractères de modernité.
On peut avancer que le Vieux-Québec est aujourd’hui habité, animé, festif, visité, approprié autant par ses usagers que par ses visiteurs. Le patrimoine n’y est plus en danger, au contraire, il s’enrichit. L’équilibre entre les diverses fonctions de ce secteur central de la ville a été atteint, mais demeure fragile, dans cet environnement hautement touristique où les pressions liées à la surcharge et à l’envahissement se font sentir tous les jours. Une vigilance et une collaboration de tous les instants entre les divers partenaires, les usagers et les résidents demeurent une nécessité et donnent l’assurance de ne pas retomber dans les cycles de détérioration que le Vieux-Québec a déjà connus.
La mise en valeur se poursuivra, car il reste d’importants espaces à réhabiliter ou à restaurer. La Citadelle a besoin d’investissements massifs. Les Nouvelles casernes, bâtiment unique datant du Régime français, croulent de décrépitude et souffrent d’une absence de vocation. Le Palais de l’Intendant, bâtiment emblématique de la gouvernance française, mériterait d’être complété et réhabilité. On agrandit substantiellement le complexe de l’Hôtel-Dieu. Le trou béant du Patro Saint-Vincent-de-Paul doit être reconstruit. Des projets d’envergure sont prévus à la place d’Youville. Des centaines de millions de dollars d’investissements pour quelques dizaines d’années encore et, surtout, un formidable défi de conception, de concertation et d’intégration à ne pas rater. L’objectif est de continuer de créer un nouveau patrimoine dans la continuité de ce qui a été fait, tout en préservant l’esprit du lieu.
Serge Viau
Architecte et urbaniste
Ancien directeur général de la Ville de Québec
NOTES
1. Cette inscription a été faite au titre du critère IV, défini comme suit : Offrir un exemple d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significatives de l’histoire humaine.
2. Il s’agit du critère VI qui se définit ainsi : Être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle.
3. Jacques Cartier avait essayé, en vain, d’établir les fondements d’une colonie française en Amérique en 1534, 1535, 1536 et 1541, bénéficiant, lors de cette dernière tentative, de l’aide de Roberval. Champlain avait déjà visité les hauteurs de Québec en 1603 et cherché à s’implanter en Acadie en 1604 et 1605.
4. On doit aussi signaler que le nom Québec (et ses diverses graphies Kebek, Kebeq, Quebecq) signifie en langue amérindienne « là où la rivière rétrécit ». Champlain spécifie d’ailleurs que « le fleuve n’y a la largeur que la portée d’un canon ».
5. Desbarats, G.-E, Œuvres de Champlain, Québec, Édition Laverdière, 1870, p 148, Voyages de 1608 à 1612.
6. Des taxes spéciales sur les entrées de vins, eaux-de-vie et guildives sont mêmes levées pour garnir les coffres de l’État en vue de financer ces fortifications. De 1739 à 1744, les droits sur les boissons représentent de 83 à 94% des droits domaniaux perçus par le Domaine d’Occident! C’est la bouteille au service de la défense. Voir Catherine Ferland, Bacchus en Canada. Boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2010, p. 130-131.
7. Les plans de Gother Mann prévoyaient cinq tours à construire à une bonne distance des fortifications pour servir de postes avancés et permettre d’arrêter, voire de retarder une attaque ou de la déceler bien avant que la garnison installée à l’intérieur des murs ne s’en aperçoive. Les murs allégés à l’arrière facilitaient leur démolition par les canons de la fortification si jamais elles devaient être prises par l’ennemi. Trois de ces tours existent encore aujourd’hui : sur les Plaines d’Abraham, sur la rue Mgr Taché et sur la rue Lavigueur. La tour numéro 3 a été démolie en 1904 pour permettre d’agrandir l’hôpital Jeffery Hale (boulevard René-Lévesque) et la tour numéro 5 prévue sur la pointe de la Canardière ne fut jamais construite.
8. Son nom complet est Frederick Temple Hamilton Blackwood, Marquess of Dufferin and Ava, (1826-1902). Québec lui rappelait sa ville d’origine, Édimbourg en Écosse, et il y voyait un atout impressionnant pour sa vocation touristique.
9. Une première terrasse a été aménagée en 1838 sur les ruines du Château Saint-Louis. Elle fut élargie en 1854 et dénommée Durham du nom du gouverneur en poste 1838.
10. Il proposa aussi la construction dans la citadelle d’un nouveau château Saint-Louis pour servir de résidence au gouverneur, mais celui-là ne sera pas construit.
11. Jusqu’alors, l’intérêt s’était porté surtout sur le secteur intra-muros du Vieux-Québec, là où les touristes se concentraient. À partir de ce moment, l’attention s’est aussi transférée sur la Basse-Ville, autant sinon plus, car son délabrement était beaucoup plus avancé.
Bibliographie
Beauregard, Yves, Jean-Marie Lebel et Jacques St-Pierre, La Capitale, Lieu de pouvoir, Québec, Commission de la capitale nationale et Les Publications du Québec, 1997, 133 p.
Brunel, Suzel, Empreintes et mémoire, l’arrondissement historique du Vieux-Québec, Québec, Commission des biens culturels du Québec et Les Publications du Québec, 2007, 237 p.
Charbonneau, André, Yvon Desloges et Marc Lafrance, Québec, ville fortifiée du XVIIe et XIXe siècle, Québec, Éditions du Pélican et Parcs Canada, 1982, 491 p.
Comité de rénovation et de mise en valeur du Vieux-Québec, Jules Blanchet, prés., Concept général de réaménagement du Vieux-Québec, Ville de Québec, 1970, 201 p.
Guay, Martin, Les fortifications de Québec, Québec, Parcs Canada et Éditions Continuité, 1998, 24 p.
Guay, Martin, Le Parc de l’Artillerie, Québec, Parcs Canada et Éditions Continuité, 1999, 24 p.
Noppen, Luc, Claude Paulette et Michel Tremblay, Québec, trois siècles d’architecture, Montréal, Libre Expression, 1979, 440 p.
Provencher, Jean, L’histoire du Vieux-Québec à travers son patrimoine, Québec, Les Publications du Québec, 2007, 277 p.
Te retrouver Québec, film documentaire de Richard Lavoie, Les Productions Richard Lavoie, 1967.
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