Chasse à l’orignal
par Gauthier, Serge
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L’orignal dans l’imaginaire collectif canadien-français
L’orignal est un patrimoine naturel dont l’importance se traduit notamment dans la toponymie. Seulement au Québec, c'est plus de 200 routes, lacs ou monts qui portent son nom, répartis dans toutes les régions! Ailleurs au Canada français, il a aussi laissé sa marque : citons par exemple le village de L’Orignal, situé en bordure de la rivière des Outaouais, à mi-chemin entre Ottawa et Montréal. En outre, on trouve un festival de l’orignal à Shawinigan, en Mauricie.
De nombreuses productions artistiques témoignent de la charge symbolique de l’orignal ou de l’ancrage de sa chasse dans la tradition canadienne-française. Des tableaux illustrent magnifiquement cet aspect de la culture populaire. Le peintre Robert Cauchon (NOTE 1), originaire de Charlevoix, a ainsi représenté l’orignal dans plusieurs œuvres. Le poète Gaston Miron a évoqué l’orignal dans son poème La marche à l’amour (NOTE 2), devenu un classique de la poésie québécoise. L'écrivaine montréalaise Andrée Maillet a publié un roman en 1952 sous le titre Profil de l’orignal (NOTE 3). Le temps d’une chasse du cinéaste québécois Francis Mankiewicz présente cette pratique de la chasse à l'orignal (NOTE 4), tandis que les films La bête lumineuse de Pierre Perrault et La postière de Gilles Carle y font aussi référence. Le cinéaste Ricardo Trogi s’est également inspiré du panneau de signalisation routière représentant l’orignal pour créer une intrigue humoristique dans son film Québec-Montréal (NOTE 5) : cet élément familier des routes québécoises y devient l'occasion d’évoquer le nouveau modèle de la masculinité, lié à la perte des anciens repères de la virilité, ainsi que l'absence de contact d’une nouvelle génération de Québécois avec la nature et sa faune, un rapport autrefois omniprésent. L’animal associé au mode de vie traditionnel sert ainsi de prétexte à une mise en question de la modernité.
Un animal imposant
L’orignal, aussi appelé élan d’Amérique, est le plus grand des cervidés et aussi le mammifère terrestre le plus imposant d’Amérique du Nord (NOTE 6). C’est pourquoi on lui reconnaît « des côtés formidables et fantastiques », selon le mot du poète et dramaturge Claude Gauvreau (NOTE 7).
Le mâle adulte, avec son panache complet, peut peser de 600 à 800 kilos. L’orignal se retrouve dans l’ensemble de la forêt canadienne, soit de la Colombie-Britannique, aux frontières de l’Alaska, jusqu’au Labrador et à Terre-Neuve. Doté de muscles massifs, d’épaules voûtées, d’un museau long et arqué, l’orignal présente un pelage brun foncé, presque noir, ou encore quelquefois plus grisâtre. Peu de temps après sa naissance, il est déjà un habile nageur. Il se nourrit tout particulièrement de feuilles, de plantes aquatiques et d’arbrisseaux. Même s’il a une vue très faible, l’orignal compense cette lacune par un odorat et une ouïe fort développés. Sa croissance est très rapide, ses rejetons pouvant prendre jusqu’à deux kilos par jour dans les premières semaines de leur existence. Il y aurait entre 500 000 et un million d’orignaux dans les forêts canadiennes.
La caractéristique la plus impressionnante de l’orignal reste sans aucun doute son immense panache. À la fin de l’été et durant l’automne, le mâle adulte porte un panache dont l’envergure atteint de 1,2 à 1,8 mètre. Au début de leur croissance, les bois des orignaux sont tendres et spongieux, puis ils deviennent durs et osseux. De nouveaux bois poussent chaque printemps et tombent à l’automne. À la période de reproduction, à la mi-septembre, les mâles, attirés par les cris ou bramements des femelles, cherchent à s’accoupler. Ils doivent parfois affronter des adversaires convoitant la même femelle et des combats à coups de panache caractérisent les affrontements entre mâles reproducteurs. Les femelles portent quelquefois des jumeaux, mais le plus souvent ne mettent au monde qu’un petit.
Bien que très puissant, l’orignal a quelques prédateurs, dont le loup, l’ours et… l’Homme, qui apprécie sa chair depuis des siècles. Malgré cette chasse ancestrale, la conservation de l’espèce est bien assurée, car la gestion des populations d’orignaux fait de nos jours appel à des méthodes très efficaces, comme les dénombrements aériens, l'inventaire des habitats et l'étude des taux de reproduction. Qui plus est, l’orignal s’accommode bien de la présence humaine, en dépit des nombreux abattages d’arbres effectués en forêt, et sa survie n’est pas menacée.
De la chasse pour la survie à la chasse récréative
Dans la culture traditionnelle, la chasse à l’orignal est un rituel réservé aux hommes et sert d’initiation à l’entrée dans le monde adulte. Les Autochtones d’Amérique du Nord chassent l’orignal chaque automne depuis des temps immémoriaux. En plus de sa chair, fort prisée, sa fourrure représentait une monnaie d’échange entre nations autochtones et, plus tard, avec les Européens. La capture de cet animal imposant n’est pas chose simple et nécessite beaucoup d’ingéniosité et d’investissement. Outre qu’il est difficile de l’abattre avec de simples flèches, il convient également de connaître ses mœurs. Ainsi, les chasseurs amérindiens ont rapidement utilisé des burgaux (NOTE 8) en écorce afin d’imiter le cri de la femelle appelant le mâle reproducteur. Il faut dire que le climat québécois est propice à la chasse, puisque dès que la neige permet de se déplacer en raquettes, la traque de l’orignal est facilitée, ce dernier circulant moins aisément et se blessant parfois en chutant sur la croûte glacée.
Dès leurs premiers établissements en Amérique du Nord, les Français ont appris des Autochtones à chasser l’orignal, un animal dont ils ne connaissaient rien. La chair de cette bête est très appréciée par les nouveaux venus et elle paraît même contribuer à une saine alimentation susceptible de protéger contre des maladies graves, comme le scorbut, dont sont victimes les premiers Européens séjournant au Canada. Ainsi, au fort de Port-Royal, en Acadie, au cours de l’hiver 1606-1607, Samuel de Champlain crée l’ordre de Bon Temps (NOTE 9) visant à réunir les habitants du lieu autour d’activités communautaires et de repas plutôt copieux. La viande d’orignal est alors présente au menu, simplement rôtie ou parfois apprêtée en « bonnes pâtisseries » selon un chroniqueur de l’époque, Marc Lescarbot (NOTE 10). Parmi les techniques fondamentales de survie alimentaire, la chasse à l’orignal représente donc un apprentissage très vite essentiel. Les Français envoient ainsi des jeunes de la colonie s’installer avec les Amérindiens, auprès de qui ils apprennent notamment les rudiments de la chasse à l’orignal. L’apport de l’arquebuse et du fusil va rendre plus facile cette activité traditionnelle dont la pratique se transmet bientôt de père en fils chez les Canadiens français.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, la chasse à l’orignal s’avère nécessaire à la subsistance de nombreux Québécois, d’origine rurale surtout, notamment pendant l'hiver. La viande de l’animal sert alors à nourrir les familles, plutôt nombreuses à cette époque. Dans certaines régions québécoises, par exemple dans Charlevoix, cette chasse a été si intensive qu’elle a provoqué la rareté du gibier. Ainsi, dans la paroisse de Saint-Siméon, durant la crise économique des années 1930, les orignaux sont devenus si rares qu’une famine s’en est suivie : il fallut ouvrir sans tarder de nouvelles terres à la colonisation afin de pallier le manque de ressources (NOTE 11).
Toutefois, vers les années 1950, la chasse à l’orignal devient essentiellement récréative et ne paraît plus indispensable à la survie alimentaire. La chair de l’orignal disparaît progressivement de l’alimentation quotidienne des Québécois, devenant plutôt l’apanage des chasseurs sportifs. De fait, au XXe siècle, la chasse à l’orignal est un loisir souvent réservé aux membres des clubs de chasse privés. À compter de 1962, la chasse contrôlée et contingentée s’impose dans le parc des Laurentides (NOTE 12). C’est alors que sont créées des réserves fauniques ouvertes à la chasse, cette pratique étant cependant interdite dans les parcs nationaux québécois. Dorénavant, les conditions d’exercice de la chasse à l’orignal seront administrées par l’État. En 2011, 90 000 des 175 000 chasseurs d’orignaux québécois ont participé à un tirage au sort informatique mené par la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) et accordant un rang prioritaire pour la chasse à l’orignal dans les 14 réserves accessibles.
Ajoutons que depuis la création, par le gouvernement du Québec, des zones d’exploitation contrôlée (ZEC) en 1978, de nombreux chasseurs peuvent s'adonner plus facilement à la chasse à l’orignal avec l’obtention d’un permis, sans nécessairement devoir appartenir à un club privé, un type d'organisations qui semble en déclin depuis cette nouvelle législation. Si les activités de plein air à caractère sportif comme la pêche et la chasse paraissent susciter moins d’attrait chez la jeune génération, la chasse à l’orignal s’impose toujours comme un rituel automnal dont la popularité se maintient au fil des ans auprès des amateurs.
Un symbole culturel devenu mythique
Bien qu’une faible minorité de Québécois chassent à présent l’orignal, cette pratique continue d'être significative dans la culture populaire d’aujourd’hui. Symbole masculin, le panache d’orignal est associé à une forme de virilité. Il se retrouve ainsi souvent lié à la commercialisation de la bière et est encore bien présent dans les commerces réservés aux hommes, comme l’étaient autrefois la taverne ou le salon de barbier. Même de nos jours, le panache d’orignal, exhibé sur le capot de l'automobile ou du camion, est conservé comme trophée de chasse dans de nombreuses régions québécoises. Des concours du plus beau panache sont organisés et les journaux locaux présentent chaque automne des photos de chasseurs arborant de magnifiques panaches d’orignaux.
Le caractère quelque peu mythique de l’orignal subsiste et continue d’influencer la vie quotidienne des Québécois. Que l'animal apparaisse sur un panneau de signalisation routière, sur la pièce de monnaie canadienne de 25 cents, sous la forme d'un panache dans un bar ou un commerce, il conserve une image de puissance indéniable. S’il peut parfois sembler fantasque lorsque la fantaisie lui prend de charger avec sa tête, il demeure pourtant formidable et « épormyable », selon le mot inventé par Claude Gauvreau (NOTE 13), quand il se dresse comme un symbole quasi immuable des forêts d’Amérique du Nord.
Serge
Gauthier, Ph.D.
Historien
et ethnologue
Chercheur
au Centre de recherche sur l’histoire et le patrimoine de Charlevoix
NOTES
1. Le Musée de Charlevoix possède de nombreux tableaux de ce peintre.
2. Le passage en question est le suivant : « orignal quand tu me brames orignal / coule-moi dans ta plainte osseuse / fais-moi passer tout cabré tout empanaché / dans ton appel et ta détermination ».
3. Andrée Maillet, Profil de l’orignal, Montréal, Amérique française, 1952, 218 p. Rééd. en 1974 et 1990.
4. Le temps d’une chasse, long métrage de Francis Mankiewicz, Canada, 1972, avec Pierre Dufresne, Guy L'Écuyer et Marcel Sabourin, 97 min. Le film est disponible sur le site de l’Office national du film du Canada [en ligne], http://www.onf.ca/film/temps_dune_chasse.
5. Québec-Montréal, long métrage de Ricardo Trogi, Canada, 2002, 104 min. L’affiche publicitaire du film représente un panneau routier où figure un orignal.
6. Cette section s’inspire des fiches d’information sur les mammifères réalisées par Environnement Canada et la Fédération canadienne de la faune : voir « L'orignal », Faune et flore du pays [en ligne], http://www.hww.ca/fr/especes/mammiferes/l-orignal.html.
7. Claude Gauvreau, Œuvres créatrices complètes, éd. établie par l'auteur, Montréal, Parti pris, 1977, p. 637-753.
8. Sorte de cornet fait d’écorce dans lequel on souffle en imitant le cri de la femelle de l’orignal. Certains chasseurs sont très habiles dans cette imitation. Maintenant, les burgaux ne sont plus exclusivement faits en écorce.
9. David Hackett Fischer, Le rêve de Champlain, Montréal, Boréal, 2011, p. 252.
10. Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France, t. 2, fo 342n.
11. Christian Harvey, « L’histoire du canton Sagard (1932-2002) », Revue d’histoire de Charlevoix, no 42, mai 2002, p. 3.
12. André-A. Bellemare, « Parcs et réserves : 50 ans de chasse à l'orignal », Le Soleil, 28 juillet 2011, p. 57.
Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés
Vidéo
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Orignal (Film muet) Des orignaux, des femelles et leurs rejetons, de jeunes mâles aux bois courts et de majestueux adultes reconnaissables à leurs magnifiques panaches évoluent dans leur milieu naturel à toutes les saisons. Ils se déplacent en forêt, traversent un lac à la nage ou s'abreuvent à un cours d'eau.
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Durée : 3 min 1 sec
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