Cimetière-jardin Notre-Dame-de-Belmont à Québec
par Guay, Lorraine
Le cimetière Notre-Dame-de-Belmont à Québec, aménagé au milieu du XIXe siècle, est un exemple fort éloquent du concept de cimetière-jardin, très populaire à cette époque, tant en Europe qu’aux États-Unis. Figurant parmi les premiers cimetières construits à l’extérieur des murs de la ville, le cimetière Belmont, par son intégration dans l’environnement naturel et l’organisation de ses allées et de ses lots, devient, pour les défunts, non seulement un lieu de repos, mais de résidence. De nombreuses personnalités publiques, dont plusieurs ont laissé leur marque dans le monde des arts et de la politique du Québec et du Canada, y sont inhumées.
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Un cimetière ancien bien présent
Aménagé à l’extérieur des murs de la ville de Québec en 1859, le cimetière-jardin Notre-Dame-de-Belmont se retrouve aujourd’hui presqu’au cœur de l’agglomération de Québec en raison des importants développements urbains du XXe siècle. Il est le deuxième plus grand cimetière catholique interparoissial du diocèse de Québec. Le site, ponctué d’allées, de vallons, de grands monuments funéraires et de gigantesques arbres centenaires, abrite les sépultures de nombreuses personnalités qui ont marqué l’histoire de la ville et de la province de Québec ainsi que du Canada au cours des 150 dernières années. Son histoire se poursuit de nos jours et témoigne, comme lors de sa construction, des changements des pratiques culturelles liées à la mort. Sans avoir le statut de bien classé, il est inventorié dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec.
Des cimetières au cœur de la cité
À Québec, sous le Régime anglais, l’accroissement rapide du nombre de cimetières est une caractéristique importante du développement urbain. Aux mortalités de cause naturelle s’ajoutent celles engendrées par les épidémies, grandement favorisées par la circulation des gens et des marchandises dans les activités commerciales et l’absence de réglementations sur l’hygiène publique et de pratiques sanitaires. Entre 1832 et 1854, le choléra frappe cinq fois. La typhoïde, la scarlatine, la diphtérie et la variole sévissent alors à l’état endémique.
Les cimetières Sainte-Anne et Sainte Famille jouxtant la basilique Notre-Dame, à la Haute-Ville, deviennent rapidement saturés. En 1701, on ouvre le terrain des Picotés qui avoisinait les jardins des religieuses de l’Hôtel-Dieu (aujourd’hui les rues Hamel et Charlevoix). Le cimetière des Picotés prend son nom à la suite d’une épidémie de picote, ou petite vérole, qui survient en 1703. Jusqu’à sa fermeture, en 1855, on y enterre la plupart des paroissiens de Québec. Outre le cimetière des Picotés, il y avait également, à la Haute-Ville, le cimetière des Pauvres, rue Couillard, le cimetière protestant de la rue Saint-Jean (St Matthew), celui de l’Église wesleyenne, rue d’Artigny, et le cimetière du choléra, angle Grande Allée et Salaberry.
Le nombre et l’état des cimetières soulèvent de nombreuses critiques. On craint qu’ils soient la cause des épidémies de choléra. En 1854, une loi municipale interdit l’inhumation des corps à l’intérieur des limites de la ville. Les nouveaux cimetières devront être situés à au moins trois kilomètres en dehors de Québec. La fabrique Notre-Dame mandate alors Charles Baillairgé pour la conception d’un nouveau cimetière inspiré des dernières tendances en matière d’urbanisme funéraire.
En effet, après l’ouverture du cimetière Père-Lachaise à Paris en 1804, se répand en Europe, aux États-Unis et au Canada, une génération de cimetières-jardins ou de cimetières de banlieue, les « rural cemeteries ». À Québec, le Mount Hermon est inauguré en 1848, suivi du Saint-Charles en 1855 et du Belmont en 1859. D’abord inspiré du jardin à l’anglaise, le cimetière-jardin met en valeur les bienfaits de la nature alliée à une conception romantique de la mort.
Un cimetière-jardin catholique pour les francophones de la Haute-Ville
Le 30 décembre 1857, la fabrique Notre-Dame de Québec acquiert de John William Dunscomb, percepteur des douanes, un terrain d’une superficie de 57 acres pour la somme de 4250 livres (18 000$). Le domaine appelé Belmont s’étend du côté nord du chemin Sainte-Foy à proximité de l’actuel parc industriel Jean-Talon. Quatre ravins découpent le terrain en déclive recouvert de plusieurs essences d’arbres : pin, peuplier, saule-pleureur, sycomore, érable, cyprès. Baillairgé réalise le plan général du cimetière, ceux pour la division de cent lots de famille, d’une maison pour le gardien, d’une chapelle avec « clocheton gothique », des clôtures, d’un portail et des onze ponts.
Baillairgé avait déjà réalisé les plans du cimetière Saint-Charles en 1855. Il écrit aux marguilliers le 15 décembre 1857 : « Je m’y connais un peu en matière de cimetière ayant visité les plus beaux des États-Unis et celui de Greenwood n’est surpassé dans aucune partie du monde; sans parler de l’expérience acquise depuis plus de 2 ans dans la gestion du cimetière à la Petite Rivière [Saint-Charles]. » (NOTE 1)
Pour aménager le terrain du Belmont, l’ingénieur écrit : « je suggérerai la nécessité d’avoir à faire cette division d’abord sur le papier; car il faudra évidemment que les sentiers se fassent de manière à suivre les différences de niveau du terrain et surtout de manière à ne pas nuire aux arbres. Il faudrait pour cela faire comme j’ai fait au cimetière Saint-Charles, i. e. faire un plan du terrain sur une assez grande échelle et y indiquer la position exacte de tous les principaux arbres, etc. puis sur ce plan tracer les sentiers et les lots proposés et retourner ensuite sur le terrain le plan à la main pour y tracer ce qui aurait été d’abord tracé sur le plan. » (NOTE 2)
Le cimetière est bénit le 10 juillet 1859. La fermeture du Saint-Louis – appelé cimetière des Cholériques puisqu’il a été aménagé en 1832 à la suite de l’épidémie de choléra – suivra rapidement, car il se situait à l’intérieur des murs de la ville et constituait, croyait-on une menace pour la santé publique. Dès lors, le cimetière de Belmont devient l’unique lieu de sépulture pour les paroissiens de Notre-Dame-de-Québec.
La partie ancienne du cimetière, située entre l’extrémité est et le troisième ravin, parallèle à l’avenue Saint-François-Xavier, se développe entre 1859 et 1890. L’aménagement paysager à l’anglaise y allie carrefours concentriques et allées sinueuses. La nouvelle partie, à l’ouest, développée vraisemblablement à partir de 1890 jusqu’en 1970, est divisée en quadrilatères dont les avenues portent des noms de saints. Précisons qu’en 1886, la fabrique Saint-Jean-Baptiste se joint à celle de Notre-Dame et qu’à cette époque on observe une recrudescence des dévotions aux saints. En 1885, Baillairgé est toujours gérant du lieu. Son plan original étant introuvable, (l’étude du plan) celui de l’architecte J.P. Edmond Dussault (1906), conservé(e) aux archives du cimetière, montre qu’une partie non consacrée du cimetière (nommée champ du potier) était réservée aux exclus (enfants non baptisés, paroissiens excommuniés, suicidés, etc.), d’autres aux concessions temporaires et aux fosses communes. En bordure des allées, les grands lots familiaux et leurs monuments imposants confirment la hiérarchisation sociale et la volonté de transmission d’un patrimoine par-delà la mort.
Un
patrimoine funéraire riche et varié
Outre la richesse arboricole qui fait du cimetière Notre-Dame-de-Belmont un lieu exceptionnel, le visiteur rencontre au fil de ses pas les monuments parfois somptueux, parfois modestes, des nombreux personnages qui ont marqué l’histoire de la ville, de la province et du Canada. S’y trouvent quatre premiers ministres du Québec (Edmund James Flynn, Jean Lesage, Félix-Gabriel Marchand et Louis-Alexandre Taschereau), onze maires de la ville de Québec, des magistrats, des notaires, des médecins, des architectes, des banquiers, des entrepreneurs, des commerçants, des artisans, des navigateurs et des artistes. Mentionnons plus particulièrement les sépultures des ténors Richard Verreau (né Verreault) et Raoul Jobin, du peintre Théophile Hamel, des organistes de la famille Gagnon, de la comédienne et chanteuse Alys Robi (née Alice Robitaille), ainsi que celle de l’écrivaine Monique Corriveau. Y repose également François-Xavier Garneau, le premier historien canadien. À part quelques exceptions, la présence des femmes demeure discrète, car les lots familiaux sont identifiés au nom du chef de famille qui occupe souvent un rôle de premier plan dans la vie sociale et économique de l’époque.
Les défunts appartenant aux communautés religieuses masculines et féminines sont rassemblés dans de grands lots identifiés par d’imposants monuments commémoratifs. Les militaires des deux guerres mondiales sont également regroupés dans des secteurs précis. D’autres événements sont aussi commémorés comme la guerre du Vietnam (1954-1975) et la catastrophe aérienne du Mont Obiou en France, où 50 pèlerins québécois périrent dans l’écrasement de leur avion au retour d’un voyage à Rome en 1950. De même, les œuvres sociales des sœurs du Bon-Pasteur sont représentées par trois monuments distincts dédiés aux jeunes femmes prisonnières ou encore aux mères célibataires qui ont été prises en charge par les religieuses (Madeleines du Bon-Pasteur et Marguerites du Sacré-Cœur).
Une grande variété de monuments, de styles et de motifs s’offrent au regard du visiteur. Les mausolées familiaux se concentrent près de l’avenue Saint-Nazaire mais on en retrouve aussi près de l’entrée. Le mausolée de la famille Tessier se démarque par ses éléments empruntés à la Renaissance italienne, ses formes néo-byzantines et néo-romanes. Il côtoie l’enclos familial surmontant le caveau de l’ancien maire de Québec, Olivier Robitaille, co-fondateur de la banque Nationale et chevalier de l’ordre de Saint-Sylvestre.
Enfin, plusieurs artistes ont contribué à l’architecture funéraire du cimetière. Parmi ceux-ci, mentionnons Louis-Philippe Hébert, qui a réalisé le monument de Félix-Gabriel Marchand, Georges Henry Duquet, qui a sculpté le médaillon à l’effigie de l’horloger et inventeur Cyrille Duquet et Loretta, auteure d’une sculpture en fer forgé intitulée Liberté érigée au-dessus de la pierre tombale d’Arthur Buies, journaliste et essayiste.
Mise en valeur patrimoniale du cimetière Notre-Dame-de-Belmont
Sauver le patrimoine matériel et immatériel des anciens cimetières demeure un défi. Depuis quelques années, diverses initiatives de mise en valeur du cimetière ont vu le jour. Au cours des années 1990, l’avocat Denis Racine a réalisé un guide du cimetière Belmont et mis sur pied plusieurs visites commentées axées sur les personnalités québécoises qui y sont enterrées. Des visites ont aussi été organisées en 2009 dans le cadre des Journées de la culture par l’Écomusée de l’Au-delà de Québec. Cette visite a fait l’objet de tournages et d’interviews avec Jean-Robert Faucher de la Société Radio-Canada pour une émission de Second Regard présentée en mars 2010. Le groupe Pierres mémorables, organisme à but non lucratif dédié à la connaissance et à la mise en valeur du patrimoine funéraire de Québec, a réalisé en 2011-2012 des fiches muséales sur les défunts célèbres du cimetière Belmont et Saint-Charles, ainsi que sur les groupes et événements qui ont marqué l’imaginaire populaire. On peut consulter ces fiches sur le site www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca. Sur le nouveau site internet du cimetière (http://cimetierebelmont.com), il est possible de faire une visite virtuelle et situer ses principaux personnages. Le cimetière Belmont est également bien représenté dans la première édition du Guide des cimetières du Québec. Mentionnons enfin que les généalogistes y sont très présents, comme dans les autres nécropoles-musées.
Si la mémoire des personnalités demeure, il en est autrement des pierres et des monuments que le temps altère inévitablement. Ainsi, en 2011, le charnier qui se trouvait à l’entrée du cimetière et qui datait du début des années 1900 a été détruit. En revanche, un nouveau bâtiment abrite des modes différents de sépulture, la crypte et la niche, en accord avec l’évolution des mentalités et des pratiques. Dans la partie basse du cimetière qui donne sur l’avenue Nérée-Tremblay, aujourd’hui l’entrée principale du cimetière, on peut voir le mausolée-columbarium François-de-Laval conçu par les architectes Maurice Boutin et André Ramoisy. En 1988, l’Ordre des architectes du Québec a décerné une Mention en architecture au bâtiment. En façade, une verrière représentant monseigneur de Laval (1658-2008) été installée en 2008 pour souligner le 300e anniversaire de sa mort. À l’intérieur, une autre grande verrière représente la Sainte-Famille.
Bien que la mort soit très souvent évacuée des préoccupations quotidiennes de notre société actuelle, les activités au cimetière Notre-Dame-de-Belmont démontrent que le patrimoine funéraire reste un lieu de mémoire et de commémoration bien vivant encore de nos jours.
Lorraine Guay, Ph.D.
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Ailleurs sur le web
- Cimetière Notre-Dame-de-Belmont
- Cimetière Saint-Charles de Québec
- Fiche du cimetière Notre-Dame-de-Belmont sur le Répertoire du patrimoine culturel du Québec
Notes
1. Lettre datée du 15 décembre 1857. Archives de la fabrique Notre-Dame de Québec (ANDQ), carton 24, pièce no 24-166.
Bibliographie
Blouin Annie et Corporation du patrimoine et du tourisme religieux de Québec, Cimetière Notre-Dame-de-Belmont. Historique- Personnalités, juin 2006.
Brodeur Mario, Guide des cimetières du Québec, Montréal, Éditions de Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 2012. info@basiliquenddm.org
Guay Lorraine, « Aux origines des cimetières du Québec », dans Jean Simard et François Brault, Cimetières. Patrimoine pour les vivants, Québec, Les Éditions GID, 2008, p. 19-41.
Guay Lorraine, « De la malpropreté et des odeurs dans les anciens cimetières urbains », dans Jean Simard et François Brault, Cimetières. Patrimoine pour les vivants, Québec, Les Éditions GID, 2008, p. 58-71.
Labbé Thérèse, Le cimetière Belmont : témoin d’un art et d’une culture funéraires, mémoire présenté pour l’obtention du grade de maître ès arts (M.A.), Université Laval, novembre 1993.
Labbé Thérèse, « L'objet funéraire et son langage», dans Jean Simard et François Brault, Cimetières. Patrimoine pour les vivants, Québec, Les Éditions GID, 2008, p. 337-338.
Racine Denis, Guide de visite du cimetière Belmont. Les personnages de notre histoire, Sainte-Foy, septembre 2000.