Migration et langue française en Nouvelle-Écosse: un portrait récent
par Fontaine, Louise
Tout au long de son histoire, tant du point de vue linguistique que culturel, la population de la Nouvelle-Écosse s'est constamment diversifiée. Sans entrer dans les détails de cette évolution historique, on observe aujourd'hui que la langue française possède un statut minoritaire car elle n'est parlée que par environ 3 à 5 % de la population totale de cette province. On constate par ailleurs que cette population francophone n'est pas homogène, un francophone sur quatre étant né à l'extérieur de la province. Cette variété linguistique, qui résulte notamment des arrivées et des départs d'individus qui se sont établis dans cette province du Canada atlantique, représente un héritage sans précédent qu'il y a lieu de préserver et de promouvoir pour les futures générations.
Article available in English : Migration and the French Language in Nova Scotia: A Recent Portrait
La situation démolinguistique de la Nouvelle-Écosse : d'hier à aujourd'hui
Acadiens et francophones en Nouvelle-Écosse
Le Canada est un pays d'immigration de longue date. Il s'est construit à partir de plusieurs vagues d'immigration afin d'atteindre des objectifs de peuplement ou encore pour répondre à des impératifs économiques, démographiques ou humanitaires. Pour ce qui est de la Nouvelle-Écosse, le peuplement et le développement économique et social de cette province s'inscrivent dans cette même perspective. J. Murray Beck soutient qu': « En 1996, la population est de 899 970 habitants, dont environ 23 % de la population est de descendance britannique et environ 4 % de descendance française, sans compter les 7 % de Néo-Écossais qui ont au moins un Anglais ou un Français parmi leurs aïeux. Le reste de la population est d'origine européenne, amérindienne ou canadienne »(NOTE 1).
Curieusement, ce portrait de la population de la Nouvelle-Écosse tiré de l'Encyclopédie canadienne et signé par l'auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire de la Nouvelle-Écosse et du Canada atlantique, ne distingue pas particulièrement les Acadiens des autres personnes « de descendance française ».La distinction est cependant d'une certaine importance. Tant d'un point de vue linguistique qu'ethnologique, l'acadien fait référence à une : « variété de français que parlent les Acadiens des provinces maritimes du Canada. [...] L'Acadie d'aujourd'hui n'est pas délimitée par des frontières géopolitiques, mais bien culturelles et linguistiques; elle correspond principalement à certaines régions francophones des provinces maritimes du Canada » (NOTE 2). Dans ce qui suit, nous nous attarderons principalement aux dimensions linguistiques en laissant quelque peu de côté des dimensions culturelles et historiques qui peuvent être associées à ce terme polysémique. Retenons toutefois qu'en Nouvelle-Écosse les « francophones » sont surtout mais non pas exclusivement « acadiens ». Tout au long de leur histoire, ils ont occupé une position minoritaire tant par rapport à leur nombre que par rapport à leur accès aux sphères du pouvoir au sein de la société néo-écossaise. Néanmoins, ce statut de minoritaire se transforme de plus en plus si on se tourne du côté de l'histoire récente de la Nouvelle-Écosse. Nous explorerons notamment cette question.
Tout comme Carsten Quell (NOTE 3) le soutient, le terme « francophone » recouvre incontestablement une réalité fort complexe. Convenons qu'un francophone désigne: « Une personne qui utilise couramment la langue française dans la plupart des situations de la vie quotidienne » (NOTE 4). Nous nous écartons alors d'une approche centrée sur la langue maternelle. Nous préférons parler de la langue d'usage dans la vie de chaque jour.
Les nouveaux arrivants dans le contexte de la Nouvelle-Écosse
La situation globale en ce qui a trait à la fois à l'immigration internationale en lien avec l'évolution de la population établie de longue date dans la province se présente comme suit. En l'espace de dix ans soit de 1991 à 2001, le nombre total d'immigrants en Nouvelle-Écosse est estimé à 27051 personnes. De ce nombre total, seulement 38% sont demeurés dans la province (10290 personnes) alors que 62% du nombre total ont quitté la Nouvelle-Écosse soit 16761 personnes (NOTE 5).
Si l'on compare les taux de croissance de la population en Nouvelle-Écosse entre 1991 et 2001, on observe un ralentissement en passant d'un taux de 3,30% à un tauxde 3,03% en 2001 (NOTE 6). Cette tendance peut être analysée à partir de trois facteurs: a) le nombre de naissances moins le nombre de décès; b) le solde migratoire interprovincial; c) l'immigration nette. Le faible taux de natalité joue défavorablement pour un accroissement de la population néo-écossaise. Il en est de même pour ce qui est du solde migratoire interprovincial car l'exode des jeunes est notoire surtout s'ils vivent en milieu rural. Enfin, pour ce qui est des tendances observées en matière d'immigration depuis 1991, on observe une variation plutôt significative (NOTE 7). Notons que le nombre total de résidents permanents admis dans la province en 2007 se chiffrait à 2520 (NOTE 8).
L'immigration francophone en Nouvelle-Écosse se caractérise notamment par une migration interprovinciale relativement significative car selon le recensement de 2001, un francophone sur quatre est né dans une autre province canadienne. De plus, il semble que l'immigration francophone considérée dans son ensemble semble être un phénomène plutôt récent car il est ultérieur à 1996 (NOTE 9).
Des structures institutionnelles tournées vers la préservation et la promotion du fait français en Nouvelle-Écosse
Pour les francophones et acadiens établis de longue date dans la province
Gratien Allaire rassemble un ensemble de faits historiques plutôt pertinents pour décrire l'« Acadie de la Nouvelle-Écosse ». En effet, il identifie « quatre zones de concentration acadienne et francophone ». La première zone repérée se situe dans le sud-ouest de la province entre Digby et Pubnico. Elle est numériquement la plus importante. Elle est suivie par la zone géographique d'Halifax-Darmouth. En troisième lieu, on retrouve des zones de l'Île du Cap Breton c'est-à-dire celle de l'île Madame (au sud-ouest) et les environs de Chéticamp (au nord-ouest) qui représentent la quatrième zone d'établissement de longue date d'« Acadiens » (NOTE 10).
Cet auteur décrit aussi le réseau associatif des Acadiens et Francophones de la Nouvelle-Écosse en mentionnant le rôle de leader de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANE), qui a été créée en 1969, et qui regroupe de nombreux membres institutionnels. Depuis lors, de multiples organismes ont vu le jour. Pensons notamment à la créationen 1994 de l'Association des juristes d'expression française de la Nouvelle-Écosse (AJEFNE). En 1996, le Conseil scolaire provincial acadien (CSAP) (http://csap.ednet.ns.ca) est créé. Le Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse (CDÉNÉ) est mis sur pied en 1999. En 2004, ona vu naître une Fédération Culturelle Acadienne de la Nouvelle-Écosse (FéCANE). Ce foisonnement institutionnel a contribué dans une certainemesure à l'adoption d'une Loi sur les services en français en décembre 2004. Autant d'exemples qui témoignent à la fois d'une vitalité du fait français en Nouvelle-Écosse et d'une reconnaissance institutionnelle et gouvernementale pour des francophones et acadiens qui vivent dans la province et qui s'affirment de plus en plus dans les différentes sphères de la vie politique, économique, culturelle et sociale.
Pour les francophones qui se sont assez récemment établis dans la province
Le fait français se manifeste de multiples façons dans la province en même temps qu'on observe un vieillissement significatif de la population en général de la Nouvelle-Écosse. Partant de ce constat, au début des années 2000, le gouvernement provincial s'est donc tourné vers l'immigration internationale pour assurer le renouvellement de la population notamment francophone et acadienne.
Suite à l'adoption de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, en date du 28 juin 2002 par le Gouvernement du Canada, le Ministère provincial du développement économique de la Nouvelle-Écosse a signé un accord avec Citoyenneté et Immigration Canada. Cet accord fédéral-provincial, qui a été signé en août 2002, est relatif à un Programme de candidats désignés par la province. Deux ans plus tard, un cadre stratégique en matière d'immigration pour la Nouvelle-Écosse a été élaboré. Ce document de travail, qui a donné lieu à un processus de consultation auprès de divers partenaires sociaux, a engendré l'adoption officielle d'une politique d'immigration par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en janvier 2005. Désormais, des ressources humaines, financières, matérielles et informationnelles sont mobilisées par différentes autorités de la province pour atteindre les quatre objectifs suivants: favoriser l'accueil de nouveaux immigrants, les attirer dans la province, favoriser leur intégration et les retenir en Nouvelle-Écosse (NOTE 11).
L'Office de l'immigration de la Nouvelle-Écosse a été créé en 2005. Dès lors, le milieu associatif et communautaire a développé des projets visant à attirer et à retenir des nouveaux francophones dans la province. Martin Paquet en dresse un bilan provisoire à ce sujet (NOTE 12).
Cette situation demeure toutefois paradoxale car on observe une tendance à de nombreux départs vers d'autres provinces canadiennes tant chez les nouveaux arrivants établis à Halifax ou ailleurs dans la province depuis environ 12 mois qu'en ce qui a trait aux individus (francophones, acadiens et autres résidents) établis depuis plus d'une génération dans la province.
Mondialisation et mobilité résidentielle accrue
En Nouvelle-Écosse, tout comme nous pouvons l'observer dans d'autres provinces canadiennes, l'exode rural des jeunes devient de plus en plus important. Plusieurs quittent la campagne pour aller étudier ou travailler dans des villes comme Halifax ou Toronto. Cette mobilité géographique s'est considérablement transformée à partir de 2000-2001. On observe, d'une part, des individus et des familles qui quittent certaines régions rurales de la province et qui vont s'établir dans l'ouest canadien c'est-à -dire principalement en Alberta et dans une moindre mesure en Colombie-Britannique. D'autre part, ces départs impliquent des individus de tout âge, pas uniquement des jeunes de 18 à 35 ans. De plus, ces migrants sont pour la plupart des travailleurs manuels qui étaient plutôt sédentaires et établis de longue date dans la province. La situation économique qui prévaut en Nouvelle-Écosse ainsi que l'attrait des emplois bien rémunérés disponibles ailleurs semblent engendrer une assez grande mobilité de la main-d'oeuvre qui se dirige vers l'ouest canadien pour s'enrichir (NOTE 13). À titre d'exemple, la migration nette de la population francophone de la Nouvelle-Écosse est passée de -265 entre 1996 et 2001 à -920 entre 2001-2006. Pour ce qui est du solde de la migration interprovinciale entre le 1er juillet 2005 et le 30 juin 2006, il se situe à -3930. Pour l'ensemble du Canada, la Nouvelle-Écosse occupe le deuxième rang étant précédé par Terre-Neuve-et-Labrador (NOTE 14). En 2009, cette tendance a changé suite à la crise financière mondiale qui sévit depuis octobre 2008. Pour plusieurs Néo-écossais notamment francophones et acadiens, l'ouest canadien ne représente plus l'eldorado. Les compagnies albertaines procèdent elles aussi à de nombreuses mises à pied. La mondialisation se vit à l'ensemble du globe.
En somme, retenons que ce portrait récent de la Nouvelle-Écosse donne à réfléchir sur ces mouvements de population notamment francophone et acadienne qui ou bien émigrent dans une autre province pour y vivre et y travailler ou encore arrivent de l'international pour s'établir presque temporairement dans la province avant de repartir vers une autre région du Canada. Ce va-et-vient d'individus ne peut qu'affecter dans une certaine mesure l'avenir du français dans la province. En effet, cet héritage linguistique et culturel dont ces individus sont porteurs devient de plus en plus mobile. Il est désormais à concevoir en dehors d'un cadre géographique limité à une province voire à un pays. La situation démolinguistique en Nouvelle-Écosse demeure donc plutôt paradoxale lorsqu'on relie le phénomène migratoire et la langue française dans notre univers contemporain.
Louise Fontaine, Ph.D.
Professeure agrégée, Université Sainte-Anne
NOTES
1. J. Murray Beck, « Nouvelle-Écosse », L'encyclopédie canadienne [en ligne], http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0005831, consulté le 17 juillet 2008.
2. Office québécois de la langue française, « Acadien », Grand dictionnaire terminologique [en ligne], 2002, http://www.granddictionnaire.com, consulté le 26 septembre 2008.
3. Carsten Quell, L'immigration et les langues officielles : obstacles et possibilités qui se présentent aux immigrants et aux communautés, Ottawa, Commissariat aux langues officielles, novembre 2002, p. 9.
4. Office québécois de la langue française, « Francophone », Grand dictionnaire terminologique [en ligne], 2003, http://www.granddictionnaire.com, consulté le 26 septembre 2008.
5. Metropolitan Immigrant Settlement Association, Report on the Nova Scotia Immigration Partnership Conference 2003 : Opportunities for Collaboration, juillet 2003, p. 37.
6. Louise Fontaine, en collab. avec la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse et Citoyenneté et Immigration Canada, L'immigration francophone en Nouvelle-Écosse : document d'information [en ligne], avril 2005, p. 10, http://www.ssta.org/media_uploads/pdf/3899.pdf, consulté le 16 juillet 2008.
8. Citoyenneté et Immigration Canada, « Canada – Résidents permanents selon la province ou le territoire et la région urbaine, 1998-2007 », Faits et chiffres 2007. Aperçu de l'immigration : résidents permanents [en ligne], 2008, http:/www.cic.gc.ca/francais/ressouces/statistiques/faits2007/02.asp, consulté le 22 juillet 2008.
9. Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, Profil de la communauté acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse, 2e éd., Ottawa, FCFA du Canada, 2004 [2000], p. 4, 8.
10. Gratien Allaire, « L'Acadie des Maritimes », La francophonie canadienne : portraits, Québec, CIDEF-AFI; Sudbury, Prise de parole, 2001, p. 64.
11. Communications Nova Scotia, Stratégie de la Nouvelle-Écosse en matière d'immigration, janvier 2005, 35 p. Voir aussi id., Cadre stratégique pour l'immigration : document de travail, août 2004, 54 p.
12. Martin Paquet, « L'immigration francophone en Nouvelle-Écosse », dans Chedly Belkhodja (dir.), Immigration et diversité dans les communautés francophones en situation minoritaire, numéro thématique de Thèmes canadiens / Canadian Issues, printemps 2008, p. 99-103.
13. Louise Fontaine, Migration et mobilité sociale et résidentielle des francophones de la Nouvelle-Écosse, texte inédit présenté lors de la journée de réflexion « Immigration et diversité au sein des communautés francophones en situation minoritaire » tenue à titre de pré-congrès du 11e Congrès national de Métropolis, Frontiers of Canadian Migration / Aux confins de la migration canadienne, Calgary, 19 mars 2009.
14. Statistique Canada, recensements de la population de 1996, de 2001 et de 2006; et « Tableau 8. Migration interprovinciale nette de la population francophone, provinces et territoires, 1991 à 1996, 1996 à 2001 et 2001 à 2006 », Recensement de 2006 : série « Analyses » [en ligne], 2007, http://www12.statcan.ca/census-recensement/2006/as-sa/97-555/table/t8-fra.cfm, consulté le 28 septembre 2008. Voir aussi id., « Composantes de la croissance démographique, par province et territoire », Le Canada en statistiques [en ligne], 2007, http://www40.statcan.ca/cbin/fl/cstrpintflag.cgi, consulté le 19 juin 2007.
Bibliographie
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Fontaine, Louise, « L'immigration rurale et francophone en Nouvelle-Écosse : quelques pistes de réflexion », dans Chedly Belkhodja (dir.), Immigration et diversité dans les communautés francophones en situation minoritaire, numéro thématique de Thèmes canadiens / Canadian Issues, printemps 2008, p. 79-82.
Henripin, Jacques, « Les migrations », La métamorphose de la population canadienne, Montréal, Éditions Varia, 2003, p. 209-237.
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Paratte, Henri-Dominique, Acadians, Tantallon (N.-É.), Four East, 1991, 197 p.
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