Patrimoine démocratique au Québec

Développement de l’administration publique et démocratisation des services publics au Québec

par Godin, Richard

Kiosque d'information du ministère du Revenu du Québec, 1974

La démocratie parlementaire québécoise influera largement sur la transformation et le développement des institutions publiques, et plus particulièrement sur celui de l'administration publique. Entre 1970 et 2000, la population du Québec verra s'accroître la prestation de services, dans un contexte de tertiarisation de l'économie, avec la mise en place d'importantes réformes touchant la gestion de plusieurs secteurs d'activité liés aux services. En moins de huit législatures, les gouvernements successifs auront donné un coup de barre pour moderniser l'État québécois, tout en faisant passer celui-ci de l'ère analogique à celle des technologies de l'information et du gouvernement en ligne, facilitant ainsi l'accès aux services gouvernementaux.

 

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L'administration publique québécoise aura connu une forte croissance de son développement à partir du milieu du XXsiècle, en suivant les courants théoriques de l'économie politique contemporaine. Ce développement s'effectuera au cours de la période associée au processus de tertiarisation touchant les pays industrialisés, dont le Canada et le Québec (NOTE 1). Cette croissance astronomique des services contribuera au développementde l'administration publique, et en découlera une démocratisation accrue des services touchant différents secteurs : finance, commerce, services sociaux, cultures et administration publique (NOTE  2).

Robert Bourrassa (à droite), en compagnie de Pierre-Marc Johnson (à gauche)

Dans ce contexte, la démocratie parlementaire québécoise veillera à ce que l'administration publique s'adapte adéquatement aux mutations en cours. Le gouvernement libéral de Robert Bourassa (1970-1976 et 1985-1994) et celui du Parti québécois de René Lévesque (1976-1985) joueront un rôle déterminant dans la reconfiguration de l'administration publique québécoise. Ainsi, le premier ministre Bourassa, considéré comme le père de la Baie-James, aura œuvré au développement économique des entreprises publiques. Le plus bel exemple à cet égard demeure à ce jour le développement des richesses hydroélectriques de la rivière Rupert (NOTE 3).

Entre 1970 et 2000, l'Assemblée nationale du Québec adoptera de nombreux projets de loi dont les retombées significatives et durables se répercuteront sur l'ensemble des services offertsaux citoyens. En fait, les grandes réformes sociales et économique entreprises avant et pendant la Révolutions tranquille se verra alors achever. Le Québec entier bénéficiera de la création d'organismes gouvernementaux nombreux tels que régies, commissions, tribunaux administratifs, offices, sociétés administratives et sociétés d'État.

En accroissant les services, l'État devra s'assurer qu'ils soient offerts efficacement, et la mise en place de l'informatique sera alors déterminante à cet égard. Mais dans quelle mesure les services à la population s'accroîtront-ils et fluctueront-ils entre 1970 et 2000 ? Comment le gouvernement s'assurera-t-il de leur efficacité ? Quelle place occuperont les technologies de l'information à ce propos ? Et, enfin, comment l'administration publique deviendra-t-elle imputable de ses actions face aux citoyens ? Un fait demeure: la vie démocratique imprimera de sa marque ce parcours historique, en fixant notamment le cadre de fonctionnement des institutions, en dictant les règles de conduite et la marche à suivre à l'ensemble de la collectivité québécoise et en servant d'inspiration aux générations à venir.

 

Vers plus de services et une gestion plus efficace

À partir des années 1960, profitant d'une prospérité économique sans précédent, le Québec devient une société de consommation. Au cours des années 1970, le gouvernement s'assurera de doter l'État québécois des outils de gestion à cet égard, comme en témoigne une étude gouvernementale :« La hausse du niveau de vie, de même que l'apparition de nouveaux besoins a engendré une forte augmentation de la demande de services publics. [...] En particulier, l'administration de ces nouveaux programmes a exigé un accroissement rapide des effectifs de la fonction publique jusqu'au milieu des années 80. » (NOTE 4)

Guichets d'information du ministère du Revenu à Québec, 1974

Ainsi, le nombre d'organismes gouvernementaux augmentera considérablement entre 1964 et 1999, passant d'une quarantaine à plus de deux cents. De manière générale, le Québec en comptera 47 en 1964, 123 en 1975, 205 en 1985 et 235 en 1995, pour enfin s'établir à 207 en 1999. (NOTE 5) Chaque organisme gouvernemental « est une entité juridique distincte ayant un statut et des pouvoirs qui lui sont propres et relève d'un ministre responsable de l'application de ces pouvoirs en vertu d'un décret d'attribution » (NOTE  6), en plus de détenir une mission d'intérêt public.

Pour concrétiser les objectifs de croissance des années 1970, le Québec misera, entre autres, sur le développement de sociétés d'État déjà existantes et la création de nouvelles. En un peu moins de vingt ans, 11 nouvelles sociétés d'État verront le jour, atteignant en 1985 le nombre record de 16, mais pour finalement s'établir à 6, en 1999. Parmi ces sociétés que l'on peut considérer comme ayant valeur patrimoniale, notons : Hydro-Québec, la Société générale de financement (SGF) et la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ).

Bien que créée en 1944, Hydro-Québec deviendra le symbole même du bien collectif, dans une perspective de services à la collectivité, en produisant et fournissant de l'électricité à faible coût à la population, tout en approvisionnant le marché extérieur selon les règles de la libre concurrence.

De son côté, la SGF, créée en 1962, contribuera à développer des entreprises au Québec à l'aide d'investissements en capital, toujours dans une optique de « partenariats d'affaires » reposant sur la « rentabilité » et la « durabilité ». Elle constituera, avec la Caisse de dépôt et deplacement du Québec (CDPQ), un des moteurs du « Québec inc. ».

Power Building, siège social de la Montréal Light, Heat and Power Consolidated, 1930

Dernier cas, la SAAQ veillera, à partir de 1978, à l'application de la Loi sur l'assurance automobile, un régime d'assurance publique ayant pour principe central l'assurance « sans égard à la responsabilité » (NOTE 7). Ainsi, cette société d'État s'occupe aujourd'hui de l'indemnisation des victimes d'accidents de la route, en regard de leurs blessures corporelles et des dommages matériels subis. De plus, la SAAQ se charge de l'application du Code de la route, de l'émissiondu permis de conduire et de l'enregistrement des véhicules automobiles.

Toujours entre 1970 et 2000, legouvernement québécois poursuivra sa quête d'édification de l'offre de servicea ux citoyens par la création d'organismes de toutes sortes. En conséquence, le pouvoir institutionnel de l'État québécois subit des transformations profondes et diversifiées. Aussi, avec l'établissement d'une vingtaine de régies spécialisées (NOTE 8), le gouvernement confiera à des agents de l'État qualifiés la gestion d'entreprises publiques comme la Régie des rentes du Québec (RRQ), en 1965, la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ), en 1969, et la Régie du logement du Québec (RLQ), en 1980.

La RRQ administre le Régime de rentes du Québec, « un régime d'assurance public et obligatoire » destiné à garantir une « protection financière de base lors de la retraite, du décès ou en cas d'invalidité ». La RAMQ gère actuellement les régimes publics d'assurance maladie et médicaments, tout en s'occupant d'informer adéquatement la population et de rémunérer les professionnels de la santé.

La RLQ est avant tout un « tribunal spécialisé » visant les litiges en matière de bail résidentiel, mais elle s'occupe aussi d'informer les citoyens quant à leurs droits et obligations, tout en veillant à la « conservation du parc de logements ». Un constat s'impose au regard de ces trois exemples, quant à la diversité des offres et quant au principe d'accessibilité au plus grand nombre.

L'examen des autres organismes gouvernementaux confirme cette tendance à la démocratisation des services offerts à la population. Toujours au cours de la même période, l'État québécois accroîtra substantiellement le nombre des autres organismes. Par exemple, le nombre de comités et de conseils (NOTE 9) passera, entre 1964 et 1975, de 14 à 56, pour finalement atteindre 46 en 1999 (NOTE 10).

Siège social de la Société de l'assurance automobile du Québec dans la basse-ville de Québec, 2008

La progression sera tout aussi significative pour les commissions, les offices, les sociétés administratives et les tribunaux administratifs (NOTE 11). Leurs fonctions sont variées, allant du domaine consultatif à la régulation, en passant par le juridique, l'évaluatif, la gérance, l'assistance technique, etc. (NOTE 12) Ce dernier volet constitue à lui seul un remarquable exemple du développement de nouvelles pratiques de gestion liée aux services offerts.

Au-delà des chiffres et des considérations juridiques, retenons que la création d'organismes contribue à l'ensemble du patrimoine démocratique de la province. Au traditionnel concept de démocratie s'ajoutera l'idée du vivre ensemble, avec une société soucieuse d'une juste redistribution de la richesse collective, et ce, dans un contexte de développement et de prospérité économique.

Toutefois, cette conception sera remise en cause, à partir de la fin des années 1980, en raison des coûts de financement des services gouvernementaux et du questionnement portant sur l'équité contributive (NOTE 13). Ce dernier aspect reviendra ensuite régulièrement alimenter les débats politiques, opposant les tenants de l'équilibre budgétaire et les partisans du déficit zéro. Dans ce contexte, en 1995, le gouvernement du Parti québécois, dirigé par Lucien Bouchard, réussira à faire adopter un projet de loi d'austérité permettant l'atteinte du déficit zéro.

Depuis, l'ensemble du développement repose sur de nouvelles pratiques de gestion efficace liée aux services offerts, dont l'accès à des points de service, la mise en place de lignes téléphoniques d'information et l'implantation de système d'information intégré. L'État québécois fera preuve de leadership à cet égard, en intégrant l'informatique rapidement dans ses pratiques de gestion et accordant une place primordiale aux technologies de l'information et des communications (TIC).

 

La révolution informationnelle

Saisie des données informatiques au ministère du Revenu (rue Dorchester à Québec), 1974

L'État québécois prendra une part active à la révolution informationnelle, en intégrant très tôt l'informatique dans ses pratiques administratives : vers 1930, à des fins de calculs statistiques, et au tout début des années 1960, avec l'acquisition des premiers « ordinateurs d'affaires ».

Dès 1970, il deviendra une administration publique à l'avant-garde dans l'implantation des technologies de l'information, comme l'indique le politologue en droit public Alain Baccigalupo : « Le Québec semble être l'un des États les plus avancés en Amérique du Nord en ce qui a trait à l'utilisationde l'informatique comme outil efficace de gestion. En effet, non seulement l'administration québécoise est fortement mécanisée, mais cette mécanisation s'effectue à l'aide des techniques les plus modernes. » (NOTE 14)

Quelques cas illustrent bien cette nouvelle tendance à l'informatisation de l'État québécois : implantation en 1974 d'un terminal d'information par la Sûreté du Québec, le Centre de renseignements policiers du Québec; installation en 1978 de terminaux d'exploitation des loteries en temps réel par la société d'État Loto-Québec; création en 1979 du Comité des responsables de l'informatique du secteur public (CRISP), aujourd'hui appelé Forum des gestionnaires en technologies de l'information (FGTI). Ce dernier se donnera comme mission « de promouvoir l'excellence dans la gestion des technologies de l'information au gouvernement du Québec » (NOTE 15).

Centre de traitement et de conservation des données fiscales du ministère du Revenu (avenue Chauveau à Québec), 1974

L'idée générale derrière ce processus de modernisation sera l'accroissement de l'efficacité et de l'efficience, l'amélioration de la qualité, un meilleur contrôle budgétaire et la réduction des coûts d'opération. On assistera alors à la refonte de grands systèmes d'information entre organismes gouvernementaux, à l'utilisation accrue d'outils de bureautique par le personnel en place et la mise en place de guichets uniques. L'informatisation visera les milieux de l'éducation, de la santé et des services sociaux, des normes du travail et des affaires municipales, pour ne nommer que ceux-là.

L'avènement de l'ordinateur personnel (NOTE 16), en 1981, accélérera le processus d'informatisation, voire de démocratisation de l'information. Si bien qu'à partir de ce moment, le micro-ordinateur constituera l'outil de travail privilégié dans le traitement des données dans l'administration publique québécoise.

L'État démocratique du Québec consolidera ses acquis en la matière en adoptant des politiques adéquates, comme celles ayant conduit, en 1998, à l'adoption d'une stratégie nationale visant la société de l'information et le gouvernement en ligne. Le gouvernement du Québec de Lucien Bouchard préconisera l'exploration de cinq grands thèmes : généraliser l'emploi d'Internet, préparer les jeunes aux TIC, bâtir un réseau propre à l'identité québécoise, favoriser l'émergence d'une économie du savoir lié aux TIC et « rapprocher l'État du citoyen et des entreprises » (NOTE 17).

Aujourd'hui, l'administration publique du Québec est à la pointe de la technologie, tout en exerçant les principesde gouvernance destinés à améliorer l'ensemble de sa mission.

 

La loi sur l'administration publique de l'an 2000

Le Parlement à Québec, 2010

Dans ce contexte de rapprochement de l'État vers les citoyens individuels et corporatifs du Québec, le gouvernement entreprendra, vers la fin des années 1990, la planification d'une loi destinée à accroître la performance des organismes d'État. En 2000 sera adoptée la Loi sur l'administration publique, laquelle visera « l'amélioration des services aux citoyens en favorisant l'imputabilité de l'Administration gouvernementale devant l'Assemblée nationale » (NOTE 18). Ainsi, l'administration publique du Québec deviendra, indirectement, imputable devant les citoyens, un apport de taille à la démocratie.

Dernier jalon relatif à ce vaste chantier étatique entrepris au tournant de 1970, cette loi garantira dorénavant aux citoyens que les organismes gouvernementaux vont œuvrer à l'intérieur de balises rigoureuses prioritairement axées vers la qualité des services, une gestion des résultats et des principes de transparence. Elle impliquera également que le travail de ceux-ci puisse faire l'objet de sanctions par les représentants élus, un acquis indéniable et indispensable à l'exercice de la démocratie québécoise.

 

Richard Godin, Ph.D.
Sociologue

 

 

NOTES

1. Le secteur tertiaire de l'économie nationale québécoise dépassera la barre des 70 % en 1983, contre 52 % en 1971 (Québec, Direction de l'analyse de la conjoncture industrielle, La tertiarisation de l'économie du Québec, Québec, Ministère de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, Direction générale de l'analyse économique, 1996, p. 5).

2. Ainsi, entre 1966 et 1996, la taille de l'administration publique connaîtra une progression annuelle moyenne de 2,4 %, passant d'environ 36 000 à quelque 72 000 employés, avec ce que cela comportera d'effets sur les services à la population (ibid.).

3. Ce projet permettra à Hydro-Québec de devenir le principal employeur parmi les entreprises publiques du Québec. Cette société d'État disposera, en 2006, d'un effectif d'environ 22 740 personnes, soit plus de 66 % du total d'effectif des sociétés d'État québécoises (Commission de la capitale nationale du Québec, Profil de localisation de l'effectif, des dirigeants, des bureaux centraux des ministères et des sièges sociaux des organismes gouvernementaux : données au 31 mars 2006, Québec, Commission de la capitale nationale du Québec, 2008, p. 58, 62-67).

4. Québec, Direction de l'analyse de la conjoncture industrielle, op. cit., p. 10-11.

5. André Gélinas, L'intervention et le retrait de l'État : l'impact sur l'organisation gouvernementale, Québec, Presses de l'Université Laval, 2002, 427 p.

6. Observatoire de l'administration publique – ENAP, « Les organismes gouvernementaux », L'État québécois en perspective [en ligne], Québec, Publications du Québec, 2009, p. 2, http://www.etatquebecois.enap.ca/docs/ste/organisation/a-organismes.pdf.

7. À l'époque, le terme anglais no-fault est utilisé.

8. Leur nombre sera variable entre 1970 et 2000 : 14 en 1975, 25 en 1985, 21 en 1995 et 22 en 1999 (André Gélinas, op. cit.).

9. Ils toucheront différents aspects de la vie démocratique du Québec : lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, déontologie policière, prestations des services de santé et des services sociaux en langue anglaise, jeunesse, arts et culture, services essentiels, statut de la femme, éducation supérieure.

10. André Gélinas, op. cit.

11. Entre 1975 et 1999, leur nombre sera presque toujours en progression. Ainsi, il y aura 12 commissions en 1975 contre 41 en 1999. Le nombre d'offices, de sociétés administratives et de tribunaux administratifs passera respectivement de 12 à 29, de 9 à 48 et de 8 à 15 (ibid.).

12. Observatoire de l'administration publique – ENAP, loc. cit.

13. Gilles N. Larin et Daniel Boudreau, La tarification des services publics : financement différent ou taxe supplémentaire?, fasc. 2 : L'état de la situation [en ligne], Sherbrooke, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Université de Sherbrooke, 2008, https://depot.erudit.org/bitstream/002186dd/1/Tarification_fascicule_2.pdf.

14. Alain Baccigalupo, « L'informatique dans les administrations publiques et para-publiques québécoises », Administration publique du Canada, vol. 17, no 4, 1974, p. 545.

15. Forum des gestionnaires en technologies de l'information, « Mission », Mission et objectifs [en ligne], http://www.fgti.gouv.qc.ca/modules/tinycontent/?id=2.

16. IBM proposera alors le PC (Personal Computer), et son concurrent Apple introduira, en 1983, l'interface graphique et la souris.

17. Québec, Agir autrement : la politique québécoise de l'autoroute de l'information, Québec, Conseil du trésor et Ministère de la Culture et des Communications, 1998, p. 11.

18. Loi sur l'administration publique, L.R.Q., chap. A-6.01, art. 1, dans Publications du Québec, Recueil des lois et des règlements du Québec [en ligne], http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/A_6_01/A6_01.htm.

 

 

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