Collection Coverdale
par Hamel, Nathalie
Composée de plusieurs milliers d’objets, la collection Coverdale est l’une des plus importantes dans l’histoire de la conservation patrimoniale au Canada. Rassemblé de 1928 à 1949 par William H. Coverdale, président de Canada Steamship Lines, ce vaste corpus contient des objets ethnographiques, des pièces archéologiques et des œuvres d’iconographie ancienne. La collection est connue principalement pour la représentation qu’elle offre de l’histoire canadienne et de la vie traditionnelle au Canada français.
Article available in English : Coverdale Collection
Un sommaire de la collection
La collection Coverdale est aujourd’hui intégrée aux collections nationales du Canada et du Québec. Elle est répartie dans diverses institutions. Les quelque 2 500 objets ethnographiques canadiens-français et 800 objets amérindiens sont conservés au Musée de la civilisation de Québec, tandis que 300 œuvres d’art reposent dans les réserves du Musée national des beaux-arts du Québec. Environ 2 400 œuvres iconographiques illustrant l’histoire canadienne ont été confiées aux Archives nationales du Canada et une soixantaine d’œuvres d’art se trouvent au Musée des beaux-arts du Canada. Ajoutons à cela les pièces archéologiques intégrées aux collections archéologiques du Québec et les quelques objets épars offerts à des établissements muséaux au cours des années 1950. Voilà un portrait sommaire de cette collection colossale, fréquemment utilisée dans les activités de diffusion des organismes qui en ont aujourd’hui la garde.
Bien connue des spécialistes, la collection Coverdale a pendant quelques décennies été perçue comme exemplaire pour illustrer les identités canadienne, québécoise et amérindienne. Aujourd’hui, le contexte de la double nationalisation (Canada-Québec) de la collection et les informations éparses recueillies par W. H. Coverdale lors de ses achats forcent à s’interroger sur la représentativité de l’ensemble.
Les débuts de la collection : l’iconographie de l’histoire canadienne
On ne sait pas exactement quand William H. Coverdale est devenu collectionneur, mais il est fort probable que ce soit avant sa nomination comme président de Canada Steamship Lines en 1922. Lorsque l’hôtel Manoir Richelieu, propriété de la compagnie, est détruit par un incendie en 1928, le président y voit une belle occasion de donner libre cours à sa passion collectionneuse. Le nouvel hôtel, qui ouvre ses portes en juin 1929, propose un concept rappelant l’architecture des châteaux français. La compagnie le présente tour à tour comme étant inspiré de l’époque du cardinal de Richelieu, conçu d’après un monastère français, ou suggérant le manoir imposant d’un membre de la noblesse. Le décor et l’ameublement évoquent un intérieur aristocratique de l’époque de la Nouvelle-France, de façon à s’accorder au style architectural(NOTE 1) . Cette façon de faire est alors en vogue non seulement dans le monde hôtelier, mais aussi chez les collectionneurs américains qui cherchent à recréer l’atmosphère des châteaux français par l’harmonisation de l’architecture, des meubles, des tableaux, des boiseries et des étoffes(NOTE 2) .
Afin de compléter le décor du Manoir Richelieu d’une manière originale, le président de Canada Steamship Lines commence à constituer une collection d’œuvres illustrant l’histoire canadienne, depuis le Régime français jusqu’à la Confédération de 1867. William H. Coverdale est alors l’un des premiers collectionneurs à s’intéresser à ce type de matériel. Il fusionne dès lors les visées commerciales de la compagnie à sa passion collectionneuse, desseins qui deviennent rapidement interdépendants et indissociables.
Au-delà de cette fin décorative, la compagnie insiste aussi sur un second objectif, qui se veut plus noble et témoigne déjà d’une volonté de constituer un héritage à léguer. La collection vise en effet à sauvegarder et à transmettre un patrimoine, « non seulement pour le plaisir et l’instruction des gens de notre temps, mais pour ceux qui, dans les générations à venir, hériteront d’une profonde vénération pour l’histoire riche et haute en couleur du Dominion du Canada(NOTE 3). »
Au début des années 1940, l’ensemble comprend près de 3 000 œuvres et William H. Coverdale le considère comme presque complet. Dès lors, il se tourne vers un nouveau projet : rassembler des meubles et des objets anciens du Canada français qui viendront orner l’autre hôtel de la compagnie, l’Hôtel Tadoussac.
Une collection d’antiquités du Canada français
Construit en 1868, l’Hôtel Tadoussac est dans un état de dégradation qui incite la compagnie à le démolir en 1941 pour le remplacer par un nouveau bâtiment. William H. Coverdale élabore alors un concept décoratif original : il fera cette fois-ci appel aux antiquités du terroir comme éléments de base de l’aménagement des espaces publics de l’hôtel. En quelques mois seulement, avec l’aide d’une conservatrice embauchée par la compagnie, May Cole, il rassemble près de 350 objets. Les meubles et objets anciens, ainsi que l’artisanat traditionnel de la région de Charlevoix, donnent un cachet unique et distinctif à l’hôtel, créant un style que la compagnie désigne sous le nom de habitant style. À terme, cette collection se composera d'environ 350 pièces de mobilier et de centaines de céramiques, d’étains, d’outils, etc.
Les travaux de construction du nouvel Hôtel Tadoussac sont l’occasion de fouiller le terrain environnant, à la recherche des vestiges du premier poste de traite de la Nouvelle-France. En effet, Pierre Chauvin a construit un bâtiment à Tadoussac en 1599, apparemment à l'emplacement même qui appartient alors à la Canada Steamship Lines. Des fondations sont effectivement retrouvées sur les lieux et une réplique du poste de traite Chauvin est bâtie en vue d’y aménager un « musée indien ». Des objets ethnographiques et archéologiques témoignant des contacts entre Européens et Amérindiens y sont exposés dès l’été 1942.
Une collection renommée
Entre 1928 et 1949, les différentes parties de la collection constituée par Coverdale ont été non seulement mises en valeur dans les lieux pour lesquels elles ont initialement été rassemblées, mais elles ont aussi été présentées au public dans une vingtaine d’expositions itinérantes. Plusieurs catalogues de la collection du Manoir Richelieu ont été publiés et largement distribués. Cette importante diffusion a permis de faire connaître la collection au Canada et aux États-Unis, tant chez la clientèle de Canada Steamship Lines que chez les spécialistes des collections de canadiana.
Grâce à cette importante visibilité, et sans aucun doute à cause de la qualité et de l’originalité de son contenu, la renommée de la collection Coverdale se construit progressivement. En conséquence, lorsque la compagnie annonce qu’elle met fin à son service de croisières en novembre 1965, tout en continuant d'exploiter ses hôtels, l’avenir de cette désormais célèbre collection suscite des inquiétudes. Sera-t-elle dispersée dans des musées, divisée par une vente à l’encan ou achetée par des collectionneurs américains ? Ne risque-t-on pas de voir ce trésor quitter le Québec ? Rapidement, le ministère des Affaires culturelles du Québec démontre son intérêt à se porter acquéreur de la collection Coverdale. Dans le contexte où le ministère réfléchit à un projet de musée de l’Homme, cette collection est vue comme une opportunité à ne pas manquer.
L’annonce de la fermeture définitive de l’Hôtel Tadoussac à la fin de la saison estivale de 1966 ravive les préoccupations quant à l’avenir des collections. Diverses rumeurs circulent au sujet de supposés dons d'objets par Canada Steamship Lines à des institutions muséales ontariennes. Ces préoccupations quant à la perte de la collection Coverdale au profit de l'Ontario se situent dans le prolongement des craintes de voir le patrimoine du Québec passer aux mains des collectionneurs américains ou ontariens, craintes récurrentes depuis le début du XXe siècle(NOTE 4). Dans un contexte où la mouvance nationaliste favorise les actes en faveur de la préservation et la mise en valeur du patrimoine des Québécois d’ascendance française, ces rumeurs aiguillonnent la volonté de conserver cette collection d’objets traditionnels du Canada français au Québec.
La consécration nationale québécoise
En 1968, le ministère des Affaires culturelles devient finalement propriétaire des collections ethnographiques euro-québécoise et amérindienne de l’Hôtel Tadoussac et du poste de traite Chauvin, ainsi que de la collection archéologique. Les experts désignés par le ministère évaluent alors de façon très globale le contenu de ces collections et recommandent leur achat, conclu pour la somme de 255 000 $. Ils affirment : « L’ensemble de ces collections forme un trésor inestimable et rarissime et doit être acquis par le gouvernement du Québec. C’est une occasion unique – et certainement la dernière – d’acquérir un échantillonnage complet des civilisations indiennes et québécoises [sic](NOTE 5). »
Cette acquisition est alors perçue comme « un geste d’une portée historique dans la conservation et la protection du patrimoine québécois(NOTE 6) » puisqu'elle accroît de façon remarquable le nombre d'objets ethnographiques de la collection nationale conservés par le Musée du Québec.
Le contexte politique québécois de la fin des années 1960 était favorable à une consécration nationale de la collection Coverdale. Cette période d'effervescence nationaliste, désormais connue sous le nom de «Révolution tranquille», voit la mise en place par le gouvernement libéral de Jean Lesage d’une série de réformes visant deux objectifs majeurs: la modernisation accélérée sur le modèle de l’État providence et la promotion nationale des Québécois francophones(NOTE 7). C’est dans ce contexte qu’est créé le ministère des Affaires culturelles en 1961, qui se veut « en quelque sorte un ministère de la Civilisation canadienne-française(NOTE 8) ».
Un impact majeur : la création d’un nouveau musée
L’achat de la collection Coverdale en 1968, avec ses quelque 2 500 objets ethnographiques et autant de pièces archéologiques, double d’un seul coup le nombre d’objets ethnographiques acquis par le Musée du Québec en quarante ans(NOTE 9). Dès lors, l’institution doit faire face à un criant manque d’espace pour entreposer et exposer les collections.
Cette situation rend impératif l'agrandissement du musée, réclamé depuis un certain temps déjà, et fait émerger des controverses quant à l'orientation à donner à l'institution. Après des années de débats, la solution retenue sera de diviser les collections et de créer deux musées distincts, soit un musée d'art (le Musée du Québec, qui deviendra en 2002 le Musée national des beaux-arts du Québec) et le Musée de la civilisation. La collection Coverdale est alors répartie entre les deux institutions, quelque 300 œuvres d'art restant au Musée du Québec alors que les collections ethnographiques sont transférées au Musée de la civilisation lors de sa création en 1980. Depuis, de nombreux objets de la collection Coverdale – parfois présentée sous le nom de collection Canada Steamship Lines – ont été mis en valeur dans diverses expositions.
Une imagerie canadienne
La collection de l’Hôtel Tadoussac est désormais un élément central du trésor national québécois. La collection d’œuvres d’art du Manoir Richelieu deviendra pour sa part un important héritage patrimonial canadien. Depuis 1968, cet hôtel et la collection qui y est exposée sont la propriété de la compagnie Warnock Hersey. En 1970, cette compagnie offre de vendre la collection au gouvernement canadien pour la somme d’un million de dollars. Les experts mandatés par le Secrétariat d’État considèrent qu’il s’agit de la dernière collection privée d’importance dans le domaine du canadiana(NOTE 10). La collection est acquise pour 875 000 $ et confiée aux Archives publiques et à la Galerie nationale du Canada.
Le gouvernement fédéral élabore à ce moment une nouvelle politique culturelle et la collection Coverdale offre, dans ce contexte, une belle opportunité de diffuser des images de l’histoire et de la culture canadiennes(NOTE 11). Le Secrétariat d’État envisage d'ailleurs d'exploiter cette nouvelle acquisition lors de l'ouverture du nouveau centre culturel canadien à Paris en 1970. Pour leur part, les Archives publiques souhaitent accroître la diffusion de leurs collections afin de se conformer à la nouvelle politique ministérielle de « dissémination des ressources culturelles ». Dès 1973, elles présentent une exposition d’une centaine d’œuvres de la collection Coverdale qui circule dans huit villes canadiennes et dans trois villes américaines.
Encore une fois, le processus de nationalisation est stimulé par la crainte de voir des œuvres du patrimoine quitter le pays. Puisque la compagnie Warnock Hersey envisageait de vendre la collection à l’encan en cas d’un refus du gouvernement canadien, les experts ont présumé que les principaux acheteurs seraient américains. Quant au gouvernement du Québec, malgré l’intérêt qu’il avait montré pour cette partie de la collection quelques années plus tôt, il ne semble pas être dans la course à ce moment.
De collection d’entreprise à héritage collectif
Le passage de cette grande collection dans le domaine public, au tournant des années 1970, représente l'aboutissement d’une trentaine d’années de diffusion qui ont permis de faire connaître la collection. Depuis le décès de William H. Coverdale en 1949, des inquiétudes planaient sur l’avenir de sa collection aux multiples facettes. Les craintes répétées de voir l’ensemble vendu en pièces détachées à des collectionneurs ou encore à des musées ontariens ou américains ont poussé les gouvernements à agir. Cette double nationalisation de la collection vise à assurer la conservation d’objets désormais considérés comme patrimoine collectif. Ces actes officiels attestent de l’importance donnée à la collection Coverdale, devenue dès ce moment une référence sur laquelle s’appuie le développement des collections nationales du Québec et du Canada. Bref, l’héritage de William H. Coverdale s’est transformé en héritage collectif.
Nathalie Hamel, Ph. D.
Ethnologue, consultante en patrimoine et muséologie
NOTES
1. Marine Museum of the Great Lakes at Kingston, Canada Steamship Lines Fonds, 1993.2.186, Canada Steamship Lines, The Normandy of the New World, 1934, p. 23; Edgar Andrew Collard, Passage to the Sea : The Story of Canada Steamship Lines, Toronto, Doubleday Canada, 1991, 432 p.; France Gagnon-Pratte, Le Manoir Richelieu, Québec, Éditions Continuité, 2000, 85 p.
2. René Brimo, L’évolution du goût aux États-Unis d’après l'histoire des collections, Paris, J. Fortune, 1938, p. 77-78; Bruno Pons, Grands décors français, 1650-1800, reconstitués en Angleterre, aux États-Unis, en Amérique du Sud et en France, Dijon, Faton, 1995, p. 96-107.
3. « [...] not only for the pleasure and edification of people of our own time, but for those who, in generations to come, will inherit a deep reverence for the rich and colourful story of the Dominion of Canada » (Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, Fonds Ministère des Affaires culturelles, E6, 1980-00-025/6, Percy F. Godenrath, Catalogue of the W. H. Coverdale Historical Collection of Canadiana and of North American Indians at the Manoir Richelieu, Murray Bay, P. Q., Montréal, Canada Steamship Lines, plusieurs éditions : 1930, 1932, 1935, 1939).
4. À titre d’exemple, voir Québec, Commission des monuments historiques, Deuxième rapport de la Commission des monuments historiques de la province de Québec, 1923-1925, Québec, Ls-A. Proulx, 1925, p. xvii.
5. Anonyme, Canada Steamship Lines, Collection de l’Hôtel Tadoussac, 1968, 4 p.
6. Léon Bernard, « La collection Tadoussac au Musée du Québec », Perspectives, vol. 10, no 43, 26 octobre 1968, p. 4.
7. Lucia Ferretti, « La révolution tranquille », L'Action nationale, vol. LXXXIX, no 10, décembre 1999, p. 59-91.
8. Giuseppe Turi, Les problèmes culturels du Québec, Montréal, La Presse, 1974, p. 31.
9. En effet, après 40 ans d’acquisitions, le Musée du Québec possédait en 1964 : 2 315 peintures et dessins, 821 sculptures, 1 813 pièces d’art décoratif, 331 pièces d’artisanat et 21 photographies (Jean Hamelin et Cyril Simard, Le Musée du Québec : histoire d’une institution nationale, Québec, Musée du Québec, 1991, p. 31).
10. Des commentaires semblables ont été émis lors de l’acquisition de la collection Peter Winkworth par les Archives nationales du Canada.
11. André Fortier et D. Paul Schafer, Historique des politiques fédérales dans le domaine des arts au Canada (1944-1988), Ottawa, Conférence canadienne des arts, 1989, 104 p.; D. Paul Schafer, Aspects de la politique culturelle canadienne, Paris, Unesco, 1977, 97 p.
BIBLIOGRAPHIE
Collard, Edgar Andrew, Passage to the Sea : The Story of Canada Steamship Lines, Toronto, Doubleday Canada, 1991, 432 p.
Cooke, W. Martha E., Collection d’œuvres canadiennes de W. H. Coverdale : peintures, aquarelles et dessins. Collection du Manoir Richelieu, Ottawa, Archives publiques Canada, 1984, 299 p.
Godenrath, Percy F., Catalogue of the W. H. Coverdale Historical Collection of Canadiana and of North American Indians at the Manoir Richelieu, Murray Bay, P. Q., Montréal, Canada Steamship Lines, plusieurs éditions : 1930, 1932, 1935, 1939.
Hamel, Nathalie, « Un musée amérindien à Tadoussac : le projet de William H. Coverdale », Ethnologies, vol. 24, no 2, 2002, p. 79-105.
Hamel, Nathalie, La construction d'un patrimoine national : biographie culturelle de la collection Coverdale, thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 2005, 396 f.
Hamel, Nathalie, « Controverses autour d'un objet : les boiseries de la maison Estèbe à Québec », dans Martin Drouin (dir.), Patrimoine et patrimonialisation du Québec et d'ailleurs, Québec, Éditions MultiMondes, 2006, p. 155-172.
Tremblay, François, et Musée régional Laure Conan, William Hugh Coverdale, collectionneur : chronologie de Pointe-au-Pic (Manoir Richelieu) et de Tadoussac (Hôtel), La Malbaie (Qc), Musée régional Laure Conan, 1979, 63 p.
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Photos
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Castor d'Amérique, 18
44 -
Cerf de Virginie, 184
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Hôtel Tadoussac à Tad
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